Une femme juive en procédure de divorce a lancé, lundi 22 août, une pétition en ligne pour dénoncer les difficultés auxquelles elle fait face dans l’obtention de l’acte de divorce religieux, remis par le mari dans le judaïsme. Malgré des avancées sur le sujet ces dernières années, l’obtention de ce document, le guet (ou guett), reste compliquée.
Le service des divorces du tribunal rabbinique de Paris se retrouve au cœur d’une controverse autour du guet – l’acte remis par le mari pour mettre fin au mariage dans le judaïsme religieux. Liorah Chetrit, 31 ans, mariée religieusement et civilement depuis 2015, a lancé une pétition en ligne, lundi 22 août, qui a recueilli plus de 1 700 signatures, pour alerter sur les difficultés auxquelles elle fait face pour obtenir ce document.
Refus du mari
En procédure de divorce civil depuis avril 2021, cette mère de deux enfants, qui se dit « séparée de corps » de son mari depuis mai de la même année, n’a pas réussi à obtenir son guet « à l’amiable ». Un document indispensable pour refaire sa vie, selon la halakha, la loi juive.
Face au refus de son mari, Liorah Chetrit dépose un dossier au service des divorces du tribunal rabbinique de Paris, à l’été 2021, afin de faire avancer la procédure. Or, comme la loi française ne reconnaît pas le mariage religieux, le divorce religieux ne peut être obtenu, en théorie, qu’une fois le divorce civil prononcé. C’est l’argument avancé par le mari et le Consistoire de Paris, dont dépend le tribunal rabbinique, qui ne peut pas contraindre à la remise du guet.
Quelques avancées
Les difficultés d’obtention du guet par des femmes juives en procédure de divorce sont récurrentes dans le judaïsme consistorial, proche des courants orthodoxes et traditionalistes. En 2014, une polémique autour d’un chantage financier au guet avait mis en lumière ce phénomène.
Plusieurs mesures ont toutefois été mises en place ces dernières années pour faciliter l’obtention du document. En 2017, le Consistoire de Paris a créé un service de médiation familiale, destiné à pacifier les divorces religieux conflictuels. L’année suivante, deux rabbins grenoblois ont prononcé des sanctions religieuses à l’encontre d’un fidèle qui refusait de remettre le guet à son ex-femme – une première en France.
Demande à un tribunal israélien
En outre, une loi votée au Parlement israélien en 2018, sur l’initiative des rabbins européens, a ouvert la possibilité aux femmes juives non israéliennes de déposer une demande de divorce religieux en Israël, à certaines conditions – par exemple s’il n’y a pas de tribunal rabbinique à proximité de chez elles. Cette option permet aux tribunaux rabbiniques de faire pression sur les maris pour leur remise de guet, à travers des sanctions, comme des interdictions de quitter le pays.
Liorah Chetrit a d’ailleurs eu recours à cette possibilité : elle a demandé au tribunal rabbinique de Tel-Aviv d’interdire à son mari, alors en vacances en Israël, de quitter le territoire israélien tant qu’il n’aurait pas remis son guet. Elle a ensuite obtenu du grand rabbin de France, Haïm Korsia, qu’il la soutienne par une lettre adressée aux juges israéliens. Le rabbin du service des divorces du Consistoire de Paris a signifié, mardi 23 août, ne plus s’opposer à la demande de la jeune femme. Ce qui pourrait in fine permettre à la juridiction israélienne de prendre une décision contraignante à l’encontre du mari récalcitrant.
Ressort exclusif du mari
Pourquoi l’obtention du guet reste-t-elle parfois si compliquée ? « Le guet est du ressort exclusif du mari et doit être délivré de son plein accord », souligne le grand rabbin de Lyon, Daniel Dahan. Une obligation qui s’explique, selon lui, par le fait que le contrat de mariage, la ketouba, engage exclusivement le mari envers la femme. « Dans la plupart des procédures, l’obtention du guet se passe bien, assure-t-il. Parfois, malheureusement, il peut être utilisé comme un moyen de chantage pour la garde des enfants, la pension alimentaire… »
En outre, comme le divorce civil prime sur le divorce religieux en France, le Consistoire de Paris ne contraint le mari à remettre le guet qu’une fois le divorce civil prononcé. « Le Consistoire pourrait très bien réclamer le guet avant la fin de la procédure civile, qui peut durer des années, et le remettre à la femme ultérieurement, pour lever l’épée de Damoclès qui pèse au-dessus de la tête des femmes, déplore une experte franco-israélienne du droit hébraïque. Mais il ne le fait pas. »
Cette spécialiste pointe en outre un manque de transparence dans la procédure et des désaccords entre rabbins français et israéliens sur le sujet. Un proche du dossier de Liorah Chetrit dénonce encore des dysfonctionnements internes au Consistoire de Paris. Contactée par La Croix, l’institution parisienne n’a pas donné suite.