Quatre jours après l’ouverture, les organisateurs de la Documenta ont annoncé mardi qu’ils supprimeraient une œuvre qui antisémite après un tollé de protestations.
À partir de quand l’expression artistique devient-elle antisémite ? La question est évidemment plus sensible qu’ailleurs en Allemagne, où se tient à Cassel, depuis samedi 18 juin, la plus grande exposition d’art contemporain au monde avec la Biennale de Venise. Déjà touchée par une polémique autour de la sélection d’artistes critiquant la politique israélienne, la documenta a décidé de décrocher une grande fresque de l’exposition dont certains détails étaient franchement antisémites.
Il s’agit d’une peinture réalisée il y a vingt ans par le collectif d’artistes indonésiens Taring Padi, qui montre un homme zoomorphe avec un chapeau juif sur lequel sont inscrits les insignes de la SS. Le personnage porte des papillotes, a des poches sous les yeux, des dents en forme de scie et un nez crochu, rappelant les caricatures antisémites des années 1930 en Allemagne. Un autre personnage porte un foulard avec une étoile de David et un casque sur lequel est inscrit « Mossad » (services secrets israéliens). Son visage ressemble à celui d’un cochon.
« Certains objets exposés contiennent des détails qui rappellent clairement la propagande de Goebbels et de ses sbires au cours de la période la plus noire de l’Histoire allemande », a dénoncé l’ambassade d’Israël à Berlin. Quant aux médias allemands, ils ont critiqué, pratiquement à l’unisson, les justifications du collectif indonésien Taring Padi qui a rejeté les accusations d’antisémitisme tout en regrettant avoir blessé la sensibilité de certaines personnes. « Notre travail ne contient aucun élément visant à présenter négativement une catégorie de la population », assure Taring Padi. Il dit exprimer une « culture spécifique » et s’inspire de l’expérience des artistes pendant la dictature militaire en Indonésie. Les cochons, les chiens ou les rats ont une autre symbolique en Asie, selon le collectif, qui a été invité à Cassel pour faire « renaître la culture de la protestation indonésienne ».
« L’origine des artistes ne joue aucun rôle dans la diffusion de l’antisémitisme », a rétorqué Josef Schuster, le président du Conseil central des juifs d’Allemagne, qui avait déjà exprimé des réserves sur la sélection d’artistes anti-israéliens comme le collectif palestinien The Question of Funding, classé antisémite par le Parlement allemand depuis 2019, mais aussi l’absence d’artistes juifs. « La liberté de l’art s’arrête où commence le mépris de l’être humain », estime-t-il. Jusqu’à présent, toutes les tentatives de dialogue entre le Conseil juif et les organisateurs ont échoué.
Un événement créé en partie par d’anciens SS
Le scandale est d’autant plus gênant pour le gouvernement allemand que la moitié du budget provient d’un État fédéral qui défend corps et âme l’existence d’Israël. « La dignité humaine, la lutte contre l’antisémitisme, le racisme ou toute autre forme de discrimination sont le fondement de notre cohésion sociale. C’est valable pour la liberté de l’art », a déclaré l’écologiste Claudia Roth, chargée au gouvernement de la culture et des médias, qui s’est félicitée du décrochage, qui devrait avoir lieu mardi (dans un premier temps, la fresque devait être seulement recouverte).
L’affaire éclate quelques mois après la fin d’une exposition peu glorieuse du musée de l’Histoire allemande (DHM) sur la genèse de la documenta. Alors qu’elle se voulait l’incarnation d’une Allemagne « rééduquée » et tournant la page du nazisme, cette exposition d’art contemporain, créée en 1955, a été fondée en réalité, pour près de 50 % des organisateurs, par d’anciens membres du NSDAP (parti nazi), des SA ou des SS.
Il aura fallu du temps pour reconnaître le caractère franchement antisémite de cette énorme bannière d’annonce……