L’écrivain israélien emblématique A.B Yehoshua est décédé à 85 ans

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L’essayiste, dramaturge et romancier israélien est décédé mardi matin à l’âge de 85 ans, laissant derrière lui un immense héritage littéraire et politique.

Unanimement considéré comme l’un des auteurs israéliens les plus influents et les plus importants, Yehoshua a combattu le cancer ces dernières années et est décédé à l’hôpital Ichilov du centre médical Sourasky de Tel Aviv. Ses obsèques auront lieu demain.

« Comme il est déchirant et symbolique que Yehoshua, l’un des plus grands auteurs israéliens, soit décédé lors de la Semaine du livre hébreu », a déclaré le président Isaac Herzog.

Yehoshua est né en 1936 à Jérusalem dans une famille originaire de Thessalonique, en Grèce. Il a étudié au Gymnasia Rehavia dans la capitale et a ensuite servi comme parachutiste dans l’armée israélienne avant de commencer son diplôme en littérature à l’Université Hébraïque de Jérusalem.

La carrière littéraire exceptionnelle d’AB Yehoshua

Déjà dans les années 60, Yehoshua commence à s’imposer sur la scène littéraire israélienne, à commencer par la publication de La Mort du vieil homme (Mot Hazaken) en 1962. En 1968, il publie un recueil de nouvelles, dont l’une, Trois Days and a Child, a été transformé en film, réalisé par le rabbin Uri Zohar, qui est également décédé récemment.

En 1977, Yehoshua publie son premier roman d’amour, l’Amant, l’un de ses livres les plus remarquables. Il a ensuite publié Mr. Mani (1989) et Le Directeur des ressources humaines (2004), pour n’en citer que quelques uns. L’année dernière, il a publié Le Troisième Temple. Il a également publié des dizaines de pièces de théâtre et de livres pour enfants, ainsi que des non-fiction.

Yehoshua a remporté le prix israélien de littérature en 1995, en plus de remporter une grande variété de prix et de titres, dont le prix Bialik, le prix EMET et des diplômes honorifiques de l’Université de Tel Aviv et de l’Université Bar-Ilan. Avraham B. Yehoshua a également remporte en 2012 le prix Médicis étranger pour « Rétrospective », un roman qui se penche sur les processus mystérieux de la création artistique. (Voir ci dessous)

Il était « un homme de la Renaissance », a tweeté le député du Meretz, Yair Golan, « un humaniste dans chaque fibre de son âme et un homme avec lequel chaque rencontre était une expérience stimulante pour la pensée et l’âme ».


Le ministre des Affaires étrangères Yair Lapid, qui avant d’entrer en politique a écrit 11 livres, a tweeté : « Aujourd’hui, nous avons perdu un être humain merveilleux et un grand auteur. Abraham B. Yehoshua était une voix unique entre l’est et l’ouest, l’intime et le national, et entre un amour rare de l’homme et une clarté totale sur les faiblesses humaines. Il nous manquera beaucoup et son travail sera avec nous pour toujours. Que sa mémoire soit bénie. »

Un auteur qui aime son pays et ne se laisse pas manipuler

Pour finir cet éloge, je me permettrai de revenir sur un article écrit par moi-même, après un interview de A.B Yehoshua en 2016, suite à la sortie de son livre « La Figurante »

A.B Yehoshua est un immense écrivain et ses livres sont à chaque fois différents, à chaque fois magiques. Il est fêté par les média français, mais sans doute pas sans arrière-pensée. En effet tout le monde sait que c’est un homme de gauche, qu’il milite pour la paix, et qu’il est fervent partisan de la création d’un état palestinien.

Mais c’est aussi un homme de convictions, et sa conviction la plus profonde est sans doute l’importance et la valeur absolue de son identité juiveAussi, lors de ses passages sur France Inter et sur France Culture, sa maîtrise parfaite du français et la cohésion de sa pensée lui font éviter le piège qui lui est tendu à chaque fois, et ses réactions sont absolument admirables.

Tout d’abord, il met les points sur les i : la décision de Noga de ne pas avoir d’enfants n’a rien à voir avec un pessimisme profond quant à la situation d’Israël et à son avenir. Il balaie cette explication, simpliste, qu’il met au même plan que le banal désir de faire carrière, et explique que son roman est une recherche psychologique sur cette femme, et que les explications comme celles-ci sont ineptes. Il rajoute dans la foulée que ce n’est pas non plus pour des raisons politiques qu’elle a quitté Israël, mais bien pour pouvoir s’accomplir pleinement dans son métier, sa vocation de harpiste.

Quand on aborde le problème du poids croissant des religieux dans le quartier de sa mère, en Israël en général par rebond, il explique que cette question n’est pas au cœur de son livre, et rappelle que justement les religieux mis en scène sont décrits avec beaucoup de tendresse.

Et cet homme qui est profondément de gauche, enfonce le clou : il faut être réaliste, il faut mettre fin à l’occupation qui est un poison pour l’avenir d’Israël, mais la solution de deux états est de plus en plus en plus irréaliste. C’est la raison pour laquelle, se basant sur l’intégration des arabes israéliens qui participent à toutes les institutions jusqu’à leur plus hauts niveaux, il préconise aujourd’hui un état binational.

Et A.B Yehoshua ne mâche pas ses mots. L’Europe a une responsabilité énorme : l’occupation du Moyen Orient, la Shoah. Et jusqu’à présent, les européens se sont montrés lâches et paresseux, se contentant de prôner des solutions impossibles et de ne faire pression que sur Israël, sans jamais user de leur poids pour presser les palestiniens de s’asseoir à une table de négociations face aux israéliens, alors que Netanyahu a fait cette proposition plusieurs fois, et s’est toujours heurté à des dérobades d’Abu Mazen.

Quand on se permet de l’interroger sur le bien-fondé du boycott en faisant le parallèle avec l’Afrique du Sud, il réagit vivement : il n’y a pas d’apartheid en Israël. Le boycott est inutile et vain, il ne changera rien. Comment s’en remettre à la communauté internationale quand on voit le chaos qui règne partout? Certes il est contre la prolifération des colonies, mais il est également contre la propagande anti israélienne qui se déverse partout dans le monde arabe.

Et A.B Yehoshua est splendide quand il répond à la question stupide qui lui est posée : « Deux anciens dirigeants sont en prison. Etes-vous fiers qu’ils aient pu être jugés ou horrifiés par leurs crimes délits? ». C’est dans un éclat de rire qu’il répond comme une évidence qu’il est fier de la justice qui a mis un ancien président en prison, et fier que ce soit un juge arabe qui l’ait fait et que personne n’y ait rien trouvé à redire.

Et il rappelle encore et encore qu’il est venu présenter un roman sur une femme qui ne veut pas avoir d’enfants, et non pour parler politiques, que ses livres tout comme ceux de Grossmann, sont lus et appréciés pour leurs qualités de romans, et qu’il faut bien être européen pour vouloir absolument trouver une dimension politique et une ligne critique envers Israël dans « La Figurante », tout comme dans « Un cheval entre dans un bar ».

A.B Yehoshua est un grand auteur, et il ne se laisse pas manipuler : oui il est de gauche, non il n’adhère pas à la politique de Netanyahu, mais il ne veut ni donner un blanc-seing à un Abu Mazen frileux ni cautionner le BDS. Son principal intérêt est la recherche de la continuité de l’identité juive, dans un climat qui ne soit pas empoisonné par une occupation qu’il ne veut plus. Et on ne lui fera pas dire autre chose sur le plan politique.

Pour son talent, pour sa magistrale tenue face à qui veut le manipuler, il faut lire A.B Yehoshua.

Line Tubiana