Ces derniers mois, les opérations israéliennes se multiplient contre le régime iranien et ses menaces de destruction de l’État hébreu. La guerre de l’ombre prend la lumière.
Dimanche 22 mai, Hassan Sayyad Khodaï rentrait chez lui en voiture, dans l’est de Téhéran. Au beau milieu de l’après-midi, ce colonel des Gardiens de la révolution, la force armée du Guide suprême iranien, passait près du Parlement quand deux hommes à moto se sont arrêtés à son niveau. Ils l’ont abattu de cinq balles dans le corps, avant de repartir à toute allure. Une nouvelle fois, un cadre du régime iranien est éliminé en plein jour.
Dans un Iran bouleversé par cet assassinat ciblé, les regards se sont immédiatement tournés vers Israël. « Je n’ai aucun doute que le sang de ce martyr sera vengé », a promis le président ultraconservateur, Ebrahim Raïssi, avant de pointer du doigt « l’arrogance mondiale » responsable de ce meurtre. Dans le vocabulaire du régime iranien, ce terme désigne les États-Unis et l’État hébreu.
« Israël est très certainement impliqué dans cette opération. Il y a des précédents du Mossad en Iran, que ce soit des assassinats de scientifiques ou des vols de documents confidentiels sur le nucléaire, pose Hugh Lovatt, spécialiste du Moyen-Orient au European Council on Foreign Relations. Il n’existe pas de déclaration formelle de guerre entre les deux pays, ni de rapports de force traditionnels, mais Israël et l’Iran se livrent une guerre des ombres depuis quelque temps déjà. »
L’Iran a tissé sa toile autour d’Israël
Les représentants de la République islamique n’ont jamais caché leur haine de l’existence même de l’État hébreu. En face, Israël s’est construit sur un modèle sécuritaire, entouré de voisins hostiles depuis sa création en 1948. « L’Iran ne cesse de répéter qu’il va nous exterminer. Nous, Israéliens, avons pris l’habitude de prendre ce genre de menaces au sérieux », nous expliquait récemment une diplomate israélienne.
Depuis 2003 et le renversement de Saddam Hussein en Irak, l’Iran a développé son influence dans tout le Moyen-Orient : ses milices chiites se trouvent en Irak, en Syrie, au Liban ou au Yémen. Les milliers de missiles du Hezbollah, au Liban, peuvent atteindre Tel-Aviv en quelques minutes. Début mars, l’armée israélienne aurait abattu plusieurs drones de combat iraniens qui se dirigeaient vers Jérusalem. Partout, Israël reste la cible à abattre.
« Nous sommes, en réalité, dans une guerre multidimensionnelle, estime Yonatan Freeman, professeur de relations internationales à l’Université hébraïque de Jérusalem. Elle se joue sur les terrains du cyber, des opérations clandestines, des groupes militaires affiliés, mais aussi de la diplomatie. Ces derniers mois, Israël pèse de tout son poids dans les discussions entre les Occidentaux et l’Iran sur l’accord nucléaire, et fait tout pour influencer le résultat. »
Pour mettre un frein aux ambitions militaires de la République islamique, Israël ne s’arrête pas à la diplomatie. S’il ne reconnaît aucune opération en Iran, le Mossad, son service de renseignements, s’est forgé une réputation pour ses missions à haut risque menées en territoires hostiles, que ce soit des assassinats ciblés de cadres du régime iranien ou des destructions d’installations militaires et nucléaires.
Malgré tout, le programme nucléaire iranien avance
Depuis un an, le nouveau Premier ministre israélien, Naftali Bennet, est passé un cran au-dessus. En février, il expliquait dans une interview en avoir assez « de jouer le jeu de l’Iran et de passer pour des pigeons », ajoutant qu’il était temps de multiplier les opérations sur le territoire iranien. Trois semaines plus tard, en mars, une usine abritant des centaines de drones de combat partait en fumée près de Téhéran…
« L’objectif d’Israël, si c’est bien Israël qui mène ces opérations, est double, suggère Yonatan Freeman. D’abord, affaiblir le programme nucléaire iranien et les activités terroristes du régime. Par exemple, le colonel tué à Téhéran dimanche semblait planifier des attaques contre des diplomates israéliens. Deuxièmement, Israël envoie un message : même en cas d’accord nucléaire, nous continuerons de défendre nos propres intérêts, et si besoin par des actions unilatérales sur le sol iranien. »
Malgré plusieurs opérations réussies en Iran ces dernières années, notamment les assassinats de quatre scientifiques haut placés, le programme nucléaire iranien poursuit son avancée. D’après les experts, Téhéran n’a jamais été aussi proche d’obtenir l’arme atomique, et Washington commence à sérieusement s’inquiéter. En arrivant à la Maison Blanche, en janvier 2021, l’objectif numéro un de Joe Biden sur la scène internationale était de ramener l’Iran dans un accord pour encadrer son programme nucléaire. Après un an de discussions, les négociations sont au point mort, et un accord n’est plus à l’ordre du jour.
Une campagne militaire ou l’obtention d’un meilleur accord
En première ligne, Israël s’oppose à un accord international qui ne prendrait pas en compte les capacités balistiques de l’Iran et ses activités terroristes. L’État hébreu évalue ses options, en cas d’échec de l’accord et d’escalade avec Téhéran. « La première alternative consiste en une campagne militaire, mais aujourd’hui personne ne le souhaite. Les Israéliens s’y préparent mais ils n’en ont pas encore les capacités, et reste à savoir s’ils pourraient se lancer dans un tel conflit sans l’accord des Américains, évalue Hugh Lovatt. La deuxième alternative consiste à obtenir un meilleur accord international en reprenant la campagne de pression maximale lancée par Donald Trump contre l’Iran. Mais cette stratégie a déjà échoué et a eu pour principal effet d’accélérer le programme nucléaire iranien. »