Le musée-mémorial d’Izieu propose jusqu’au 6 juillet une exposition exceptionnelle de dessins et de lettres réalisés par les enfants juifs qui avaient trouvé refuge dans cette grande maison du Bugey, grâce à Sabine Zlatin, jusqu’à ce qu’ils soient raflés sur ordre de Klaus Barbie le 6 avril 44.
C’est une maison, située dans le Bugey, qui surplombe le Rhône, avec une vue imprenable sur la plaine du Dauphiné, le Vercors et la Chartreuse. Sabine et Miron Zlatin y ont accueilli entre mai 43 et avril 44 plus d’une centaine d’enfants juifs, fuyant les persécutions antisémites du régime de Vichy et des nazis. Jusqu’à cette terrible rafle du 6 avril 1944. 44 enfants, âgés de 5 à 17 ans, ont été déportés avec les sept adultes qui s’occupaient d’eux, dont le mari de Sabine Zlatin. Une seule adulte, une monitrice, prénommée Léa, rentrera des camps de la mort.
Cinquante ans après, en 1994, le président Francois Mitterrand inaugure le musée-Mémorial des enfants d’Izieu, devenu un lieu de culture et de transmission de la mémoire de la Shoah. Tous les 6 avril, une cérémonie y est organisée pour commémorer la rafle.
Traces de vie
Lors de la rafle du 6 avril 44, Sabine Zlatin, la directrice de la colonie, était absente. Quand elle revient à Izieu, elle récupère toutes les lettres, dessins, photos, objets ayant appartenu aux enfants. Dominique Vidaud, le directeur du mémorial d’Izieu, raconte : « _Elle met ces documents dans des cartons, qu’elle garde chez elle, incapable de les ouvrir_, pendant des années, tant la charge émotionnelle était forte. Ce n’est qu’après le procès Barbie, qu’elle a le courage d’ouvrir ces cartons. Elle redécouvre alors ces trésors, qu’elle confie à la Bibliothèque Nationale de France, en 1993. »
Dessins pleins de couleurs
Les dessins, tous des originaux, sont surtout l’œuvre des garçons, comme cet indien magnifique, avec ses plumes et son arc, qu’on dirait avoir été dessiné hier et qui fait l’affiche de l’exposition. « Il a été dessiné par Max Tetelbaum, originaire d’Anvers, en Belgique. Il n’avait que 12 ans mais avait déjà une grande maitrise du dessins et surtout le génie des couleurs! « s’enthousiasme Dominique Vidaud.
Des lettres émouvantes
L’exposition propose aussi des lettres d’enfants. L’écriture est à la plume, appliquée, avec les pleins et les déliés comme on l’enseignait à l’époque. Car une institutrice, détachée de l’Education Nationale, faisait cours aux enfants tous les jours. On peut d’ailleurs visiter la salle de classe, les pupitres en bois y ont été conservés. Il faut savoir que ces enfants, pour la plupart, ne parlaient pas le français, ou le parlaient mal, en arrivant à Izieu. En lisant leurs lettres, on voit qu’ils l’ont appris rapidement. Comme le petit Georges Halpern, surnommé Georgy, 8 ans, qui écrivait régulièrement à ses parents, qui lui ont survécu. « Il raconte la vie à la colonie, ce que l’on mange, s’il a neigé, les disputes entre enfants, parfois son envie de retrouver ses parents. » détaille Dominique Vidaud, le directeur du mémorial d’Izieu qui souligne que si les enfants ont ainsi pu s’exprimer librement c’est parce qu’ils ont trouvé à Izieu un havre de paix et des personnes pour veiller sur eux qui leur ont su leur rendre leur insouciance d’enfant.
Les filles dessinaient moins. En tous cas, on n’a pas retrouvé beaucoup de leurs dessins mais elles écrivaient, pour fêter, par exemple, l’anniversaire de leurs copines, comme dans cette lettre adressée à Suzanne qui avait eu 11 ans le 10 février 44, moins d’un mois avant la rafle. « Dans cette lettre, son amie dit à Suzanne qu’elle espère que pour son prochain anniversaire, elle retrouvera ses parents. Mais nous, on sait qu’il n’y aura pas d’autre anniversaire » note le directeur du Mémorial d’Izieu. On a même retrouvé cette lettre qu’une fillette, Liliane, a écrite à Dieu pour qu’il fasse revenir ses parents, qu’elle les revoie.
6 avril 1944
Le jour de la rafle, le 6 avril 44, c’était le premier jour des vacances de Pâques, les enfants étaient en train de prendre leur petit déjeuner, ils faisaient sans doute beaucoup de bruit dans le réfectoire, devant leurs bols de chocolat brûlant, tout à leur joie d’être en vacances et ils n’ont pas entendu les camions arrivés devant la maison. Seul Léon Reifman, qui venait juste d’arriver a la colonie, parvient à s’enfuir en sautant d’une fenêtre. Des fermiers voisins l’aideront ensuite à se cacher.
Des dessins très fragiles
Ces dessins originaux ont pu être prêtés par la Bibliothèque Nationale de France car Izieu s’est doté récemment de vitrines permettant de très bonnes conditions de conservation. Stéphanie Boissard est responsable recherches, documentation et archives de la Maison d’Izieu : « Cela régule la température, l’hygrométrie, la lumière. Ces dessins sont très fragiles car réalisés sur du papier de guerre qui tombe en poussière avec les années. Ses dessins seront ensuite exposées au musée hébraïque de Paris. Puis, _on ne pourra plus les voir durant 10 ans._«
Lors du procès Barbie à Lyon, en 1987, Sabine Zlatin était venue témoigner. Elle s’était adressée à l’accusé en ces termes: « Barbie avait dit qu’il ne s’attaquait qu’aux maquisards, aux résistants (…) mais les 44 enfants, c’était quoi ? Des maquisards ? Des résistants ? C’était des in-no-cents ! » s’écrie-t-elle en détachant chaque syllabe.
De ces 44 innocents qui ont été gazés dès leur arrivée à Auschwitz, il nous reste ces dessins, ces lettres qu’on peut découvrir jusqu’au 6 juillet à la maison d’Izieu. La BNF publie également un livre intitulé, « On jouait, on s’amusait, on chantait, paroles et images des enfants d’Izieu 1943-1944. » A retrouver dans toutes les bonnes librairies au prix de 29 euros