Les fouilles d’une des plus vieilles synagogues du pays se terminent dans cet ancien territoire pontifical, à l’Isle-sur-la-Sorgue.
La clôture est récente, mais l’entrée est marquée par un somptueux portail vieux de plusieurs siècles. En arrivant, on distingue une petite dizaine de tombes qui confirment qu’il s’agit bien d’un cimetière. Pourtant, sur le reste du terrain, il n’y a que de l’herbe et des arbres. Jusqu’à la Révolution française, les Juifs n’avaient pas le droit de marquer leurs sépultures. Ils n’avaient pas le droit de vivre et devaient se cacher pour mourir. Ils survivent donc. Dans le Vaucluse, la ville de L’Isle-sur-la-Sorgue travaille à une mise en valeur de leur patrimoine méconnu. Dans le centre-ville de récentes fouilles préventives viennent de se terminer (1).
Le cimetière a, lui, fait l’objet d’une étude il y a une dizaine d’années et n’a jamais été officiellement fermé, même si la dernière inhumation remonte à 1939. Impossible cependant de connaître le nombre de personnes enterrées dans ce lieu, et faute de stèles, on ne sait même pas de quand il date. «Les archives nous indiquent qu’on y enterrait déjà en 1465, mais il est tout à fait crédible que ce soit antérieur, c’est même peut-être le plus vieux cimetière juif du pays, précise François Guyonnet, archéologue et directeur du patrimoine à L’Isle-sur-la-Sorgue. Il y avait sûrement un moyen de déterminer l’emplacement des sépultures, peut-être avec des plantes. Quel qu’il fût, il a été totalement effacé. Tout juste sait-on que le cimetière a été agrandi à partir de 1736. Les responsables de la communauté juive locale ont acheté un terrain adjacent.»
Pour en savoir plus, il faudrait lancer des fouilles approfondies, remuer la terre et déterrer les os, «mais c’est un sujet délicat puisqu’il n’y a pas de menace sur le site, continue François Guyonnet. Et puis il y a beaucoup d’autres endroits à fouiller et à comprendre avant.» Car à deux kilomètres de là, les fouilles ont bien lieu en ville, notamment sur le site de l’ancienne synagogue. «Il s’agit d’une des seules synagogues connues en France pour cette période, précise Émilie Porcher, archéologue à la ville de L’Isle-sur-la-Sorgue en charge du chantier de fouille. Et pour cause, la pratique du judaïsme était interdite partout ailleurs. Elle a été construite au XVIe siècle, à cette époque, les Juifs avaient encore une liberté de circulation dans la ville et dans la région.»
Des conditions de vie très difficiles
Car à partir de 1624, les Juifs de L’Isle-sur-la-Sorgue sont obligés de vivre dans un ghetto, tout comme ceux de Carpentras, d’Avignon et de Cavaillon. Expulsés du royaume de France en 1394 sous Charles VI, ce sont même les seuls endroits où ils restent tolérés sous la protection du pape. Le territoire avignonnais, appelé le Comtat Venaissin, étant propriété papale depuis 1274 (9 papes et 2 antipapes ont d’ailleurs résidé à Avignon entre 1309 et 1418).
Plus que de ghetto, «on parle en fait de carrière, précise François Guyonnet. Autrement dit de rue. Le mot ghetto correspond plus aux Juifs d’Italie pour l’époque. Il s’appliquera ensuite aux Juifs d’Europe de l’Est. Le pape autorise les Juifs à vivre sur ces territoires, à la fois car il veut montrer, qu’en bon chrétien il pardonne le crime originel d’avoir vendu le Christ aux Romains. Mais il tient à montrer également aux populations, combien le peuple juif souffre de cette faute originelle et leur impose des conditions de vie très difficiles.» Ces carrières sont coupées du reste de la ville, fermées par deux portes à l’entrée et la sortie. Aucune fenêtre d’immeuble ne doit donner sur les rues extérieures.
À L’Isle-sur-la-Sorgue, la synagogue est située à côté de l’entrée, en haut de la rue. La salle basse qui accueillait les femmes est la seule partie accessible pour les équipes de fouilles. La salle haute, réservée aux hommes, a été rasée et remplacée par les écuries Abraham, encore debout aujourd’hui. «Il s’agit d’une des rares familles à ne pas avoir quitté L’Isle après 1791, quand le Comtat Venaissin a été rattaché à la France révolutionnaire, continue Émilie Porcher. Dès lors que les Juifs bénéficient de la liberté de culte, ils vident les ghettos. La synagogue n’a plus lieu d’être, car rares sont ceux qui restent à L’Isle-sur-la-Sorgue. Elle sera d’ailleurs abandonnée en 1856.»
En plus de la synagogue, deux immeubles sont toujours debout. Tous deux sont de belle facture et encore habités. Des petits balcons auxquels est suspendu du linge ornent la façade du premier. Construit à la fin du XVIIIe siècle par la famille Carcassonne, il donnait directement sur la synagogue. Le second est en bas de la rue. Construit entre 1760 et 1765 par deux frères, David-Aaron et Issac Beaucaire, il est en forme de fer à cheval pour gagner un maximum de place, tout en créant un puits de lumière, sans doute pour lutter contre l’obscurité due aux murs extérieurs sans ouverture. Si des fenêtres ont été rajoutées depuis, l’obscurité y est encore très prégnante, on n’ose imaginer ce qu’il devait en être il y a cinq siècles. L’escalier central est toujours là. Les premières marches ont disparu, effacées par le temps. «Les Beaucaire ont fait appel aux meilleurs architectes de l’époque pour construire cet immeuble, commente François Guyonnet. Ils ont dû se faire avoir par un fournisseur qui leur a donné des pierres de mauvaise qualité, puisque cet escalier qui n’a que 250 ans est ruiné à l’extrême.» À chaque étage, des portes, certaines scellées d’autres non, donnaient sur les nombreux appartements. «On imagine la vie qui animait cette cage d’escalier avec des familles qui passaient d‘une porte à l’autre, la porte d’entrée sans doute tout le temps ouverte», raconte François Guyonnet.
Dans le ghetto, la vie s’organise autour de l’espace central. Cette rue sur laquelle donnaient toutes les ouvertures des habitations. «Sans lumière, la plupart des juifs devaient exercer leur profession sur la place située au centre de la carrière, mais même là, la lumière devait être faible, raconte l’archéologue. Il y avait probablement des immeubles enjambant cette rue, obstruant encore plus la luminosité.» Totalement coupée du reste de la population, une langue locale se développe, le shuadit, mélange de français, d’occitan et d’hébreu.
Il y a un paradoxe à voir cette société juive mise au ban et exclue des cadres de vie, et certaines de ces familles monter en puissance au XVIIIe siècle grâce à l’édit de tolérance de Louis XV qui leur permet de commercer dans le royaume de France. Elles deviennent suffisamment riches pour acheter de nouveaux terrains pour agrandir le ghetto ou le cimetière. «Le prêt d’argent était interdit aux catholiques, ça a donc longtemps été l’une des rares professions qu’ont pu exercer les Juifs avec celles de maquignons ou de fripiers, raconte François Guyonnet. Les Beaucaire ont ainsi fait fortune en achetant et revendant du bétail. Si la plupart des Juifs quittent la ville lorsque le Comtat Venaissin devient français en 1791, ceux qui restent ont une place très importante. On retrouve des Juifs au sein de conseil municipal pendant la IIe République, et le premier maire de la IIIe République de L’Isle-sur-la-Sorgue est d’ailleurs un Israël Abram.»
Les fouilles bientôt terminées, la ville travaille à mettre en valeur les immeubles, un espace culturel et mémoriel devrait ouvrir au dernier étage de l’immeuble Beaucaire et les vestiges de la synagogue seront inclus dans un aménagement de l’espace public.
(1) L’archéologie du judaïsme est le thème d’un colloque organisé par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) du 23 au 25 mars à Paris.
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