Au-delà de la polémique du « iel », la linguiste dénonce des définitions orientées et des partis pris idéologiques du dictionnaire autour du conflit israélo-palestinien.
Le Petit Robert est sous les feux de la rampe et tout le monde en parle. Mais ce texte ne portera pas sur le nouveau-né par insémination artificielle : « iel ». Les linguistes se sont déjà demandé quelles en sont les formes pronominales correspondant à un complément d’objet direct et indirect, d’autres ont remarqué les incohérences d’accord (« iel est con » reste toujours masculin, hélas), d’autres encore ont vu que le neutre a curieusement une forme féminine « ielle ». Bref, tout cela a déjà été dit et qu’ « iels » se débrouillent comme ils peuvent. Après tout, la créativité lexicale est à l’honneur et le français commun est d’ores et déjà « has been ». Allons, enfants de la matrie, laissons « iels » faire.
Les dictionnaires sont réputés décrire le patrimoine linguistique aussi objectivement que cela est possible. Or, les ouvrages lexicographiques ne sont pas « neutres », ils sont fabriqués par des êtres humains qui ne sont pas exempts de préférences idéologiques. Ils sont engagés dans les débats sociétaux, ils ont leurs opinions en matière d’enseignement, de langue, d’usages, etc. Il est donc impossible d’exclure le fait que des choix tout à fait personnels transparaissent dans les dictionnaires. Alain Rey, dans sa préface de La lexicographie militante écrit à propos des discours lexicographiques : « On voit ici que la décision de produire un dictionnaire, que le projet lui-même peut faire partie d’une action militante qui peut dépasser en l’englobant l’activité lexicographique même ».
Anachronisme
Le militantisme peut être bénéfique pour l’avancement vers l’émancipation, le progrès et toutes les bonnes causes socio-politiques ; de cela, il n’y a aucun doute. Le Petit Robert a toujours été considéré par les linguistes comme un dictionnaire progressiste dans le sens où il essayait de tenir compte de la grande variété des usages. Mais il peut aussi, tout en affichant son implication au bénéfice des bonnes causes faire le contraire, en proposant une terminologie sujette à caution, pour ne pas dire révisionniste.
Prenons par exemple Le Robert Junior (CE, CM, 6°), éd. 2020 qui contient une partie « Noms propres », fort utile aux enfants qui doivent préparer leurs exposés pour les cours d’histoire-géographie. On y découvre une vision de l’histoire très particulière : « Juda (royaume de)-Royaume du sud de la Palestine. Il fut fondé vers 931 avant Jésus-Christ par les tribus de Juda et de Benjamin. Le roi de Babylone Nabuchodonosor II le détruisit après avoir pris Jérusalem à plusieurs reprises (597 et 687). »
Cette définition est fausse. Le royaume de Juda ne pouvait pas exister en Palestine, car le terme « Palestine » a été inventé en 135 par l’empereur romain Hadrien après qu’il a rasé Jérusalem, capitale de ce royaume, à la suite de la révolte des Judéens. Il décide alors d’effacer les traces de la présence juive en Judée et renomme Jérusalem « Aelia Capitolina » et la Judée « Palestine ». La province de Judée devient la Palestine, ainsi nommée en référence aux ennemis des Hébreux les Philistins (un peuple d’origine indo-européen installé sur le littoral cananéen). Le royaume de Juda ne peut donc pas exister en Palestine, car une telle entité géographique n’existe pas à l’époque du royaume de Juda.
« Jérusalem, ville de Palestine »
Mais continuons la lecture : « Jérusalem -ville de Palestine, capitale déclarée de l’État d’Israël, contestée par les pays arabes. Elle compte 750 000 habitants, répartis entre la ville moderne (à population juive) et la vieille ville et ses faubourgs (à population surtout musulmane) […]. Après la première guerre israélo-arabe (1948), elle fut partagée en deux secteurs : israélien à l’ouest et arabe à l’est. En 1967, les Israéliens occupèrent la ville dans le secteur arabe, puis la proclamèrent capitale éternelle de l’État d’Israël. Aujourd’hui, son statut reste un obstacle majeur à une paix définitive entre Israéliens et Palestiniens ». Cette définition pose également un problème non seulement historique mais aussi politique, ce qui dépasse la mission d’un ouvrage destiné aux enfants.
Jérusalem n’est pas une ville de Palestine, ce nom ne correspond aujourd’hui ni au territoire historique de la province de Judée, ni à la Palestine mandataire qui n’existe plus. Jérusalem est la capitale d’Israël. La contestation des pays arabes, mentionnée par le dictionnaire, n’a aucun rapport avec son statut, ni avec la définition lexicographique. À titre de comparaison, le Robert ne fait aucune mention du statut disputé de la délimitation des eaux territoriales de la mer d’Egée par la Grèce et par la Turquie, ni du statut de Gibraltar qui se trouve sous le contrôle du Royaume-Uni mais qui est revendiqué par l’Espagne.
Il est également faux de dire que le statut de Jérusalem « reste un obstacle majeur à une paix définitive entre les Israéliens et les Palestiniens ». Les éditeurs de 2020 qui semblent être engagés dans les commentaires politiques, ignorent-ils que lors des accords Camp David II il a été proposé aux Palestiniens une souveraineté sur les quartiers arabes extérieurs de Jérusalem-Est (alors que ces quartiers ne faisaient pas partie de la municipalité de Jérusalem avant 1967 et une souveraineté sur les quartiers chrétien et musulman de la vieille ville) ? Yasser Arafat a refusé toutes les propositions faites par les Israéliens. Dire que le statut de la ville est un obstacle pour la paix est une fausse information, qui manipule tant les faits historiques que les esprits des enfants qui apprennent l’histoire avec cet outil pédagogique douteux.
Il est évident, à la lumière de ce qui est montré, que le principal obstacle à la paix où qu’elle soit, est le militantisme, en l’occurrence celui du Robert qui n’est justifié que par son parti pris de révisions de l’histoire, et que cette posture n’a, à proprement parler, rien à voir avec de la pédagogie.
Yana Grinshpun est linguiste et maître de conférences à l’Université Paris III- Sorbonne-Nouvelle. Elle est également co-fondatrice de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires.
Bonjour,
Je suis entièrement d’accord avec l’article, ce qui est dommage c’est que l’histoire n’est jamais respecter, c’est souvent notre histoire qui n’est pas reconnue, les recherches archéologique sont une façon de remettre les idées en place !
C’est le KGB soviétique qui inventa « le peuple palestinien » après la guerre des 6 jours, comme le confirma Arafat . . .