Considéré comme l’artisan de la réconciliation nationale, « Boutef » avait été chassé du pouvoir en 2019. Il est décédé à l’âge de 84 ans.
L’ancien président algérien Abdelaziz Bouteflika, chassé du pouvoir en 2019 après des manifestations massives contre sa volonté de briguer un nouveau mandat, est décédé vendredi à l’âge de 84 ans. « Décès de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika », a indiqué un bandeau déroulant à la télévision nationale, citant un communiqué de la présidence de la République. La date de son enterrement n’a pas été annoncée.
Depuis sa chute spectaculaire en avril 2019 sous la pression de l’armée et de la rue, celui que les Algériens appelaient familièrement « Boutef » était resté retranché dans la solitude dans sa résidence médicalisée de Zeralda, à l’ouest d’Alger, alors que ses proches étaient poursuivis en justice pour des accusations de corruption.
Longévité exceptionnelle
Né le 2 mars 1937 à Oujda (Maroc), dans une famille originaire de la région de Tlemcen (nord-ouest), Bouteflika rejoint dès 19 ans l’Armée de libération nationale (ALN) qui combat la puissance coloniale française. A l’indépendance, en 1962, il est, à 25 ans, ministre des sports et du tourisme, avant d’hériter un an plus tard du portefeuille convoité de la diplomatie, qu’il conserve jusqu’en 1979, une époque où l’Algérie s’affiche en leader du tiers-monde.
En 1965, il soutient le coup d’Etat de Houari Boumediene, alors ministre de la défense, qui s’empare du pouvoir en déposant le président Ahmed Ben Bella. S’affirmant comme le dauphin de Boumediene – « le père qu’il n’a pas eu », dira ce dernier –, qui meurt en 1978, il est pourtant écarté de la succession par l’armée puis de la scène politique, sur fond d’accusations de malversations. Il s’exile à Dubaï et à Genève.
C’est pourtant l’armée qui l’impose en 1999 comme candidat à la présidentielle : il l’emporte après le retrait de ses adversaires, qui dénoncent des fraudes. Sa priorité : rétablir la paix en Algérie, plongée dans la guerre civile depuis 1992 contre une guérilla islamiste – quelque 200 000 morts en dix ans, officiellement. Deux lois d’amnistie, en 1999 et 2005, convainquent nombre d’islamistes de déposer les armes.
Omniprésent dans la vie politique algérienne durant des décennies, mais devenu quasi-invisible depuis un accident vasculaire cérébral (AVC) en 2013, Bouteflika n’avait donné aucun signe de vie depuis que le mouvement de contestation populaire du hirak et l’armée l’avaient contraint à la démission.
Ce jour-là, il était apparu pour la dernière fois à la télévision pour annoncer qu’il jetait l’éponge. Le hirak s’est toutefois poursuivi malgré l’éviction de Bouteflika et de son clan, puis l’élection en 2019 de son successeur Abdelmadjid Tebboune. Le mouvement réclame le démantèlement du système de gouvernance en place depuis l’indépendance en 1962, mais les autorités affirment que les principales revendications des protestataires ont été satisfaites.
Les télévisions officielles se sont contentées d’annoncer le décès de l’ex-chef de l’État, sans toutefois interrompre leurs programmes pour lui consacrer des émissions spéciales. À part l’annonce officielle, le décès de Bouteflika n’a donné lieu à aucun commentaire des autorités dans l’immédiat, mais des internautes ont abondamment commenté la disparition de celui qui est resté au pouvoir de 1999 à 2019, un record de longévité en Algérie.
« Le pouvoir à tout prix »
« Abdelaziz Bouteflika est décédé laissant derrière lui un pays détruit. Enfin, il sera entre de bonnes mains qui le jugeront comme il le mérite », écrit sur sa page Facebook Sabrina Debabcha. « La dernière mort d’un président. Bouteflika a survécu à toutes les rumeurs. Cette fois la rumeur est morte. Et lui avec », fait remarquer un autre sur le même réseau le journaliste Karim Alem.
Depuis son AVC, qui l’a rendu aphasique et l’a cloué sur un fauteuil roulant, Bouteflika faisait constamment l’objet de rumeurs sur sa santé et sur sa mort. Mais, à chaque fois, il réapparaissant en public pour les démentir. Sa candidature à un cinquième mandat successif avait été perçue comme l’humiliation de trop par des millions d’Algériens, qui sont descendus dans la rue dans les grandes villes du pays à partir du 22 février 2019.
Élu pour la première fois en 1999, constamment réélu au premier tour avec plus de 80 % des voix en 2004, 2009 et 2014, ce cinquième mandat semblait acquis aux yeux du régime.
Mais six semaines de mobilisation massive du hirak, du jamais-vu en Algérie, avaient poussé le patron de l’armée à l’époque, le général Ahmed Gaid Salah, un de ses fidèles, à obtenir sa démission. « Toute sa vie, Abdelaziz Bouteflika a été animé par deux obsessions : conquérir le pouvoir et le garder à tout prix. Il voulait faire un cinquième mandat en dépit du fait qu’il était malade et impotent », a affirmé Farid Alilat, auteur de Bouteflika. L’histoire secrète, une enquête intime sur le parcours de l’ancien « raïs ».
Bouteflika est considéré comme l’artisan de la réconciliation nationale qui a permis de rétablir la paix en Algérie, plongée dans la guerre civile depuis 1992 contre une guérilla islamiste qui a fait quelque 200 000 morts en dix ans, selon le bilan officiel.