« Unplanned », une fiction américaine de 2019, relate le revirement d’une ancienne cadre du planning familial devenue militante anti-avortement et contient une scène d’avortement trompeuse.
La diffusion par la chaîne C8, lundi 16 août, en prime time, d’Unplanned, une fiction américaine relatant le revirement d’une ancienne cadre du planning familial devenue militante anti-avortement, provoque l’indignation des associations féministes. Produite par un studio chrétien évangélique, la fiction avait rencontré un succès inattendu lors de sa sortie aux Etats-Unis au printemps 2019 mais suscité aussi de vives critiques quant à sa véracité, particulièrement d’une scène d’avortement fantaisiste montrant un fœtus se débattre.
« C’est un choix politique que de programmer ce film contraire au droit à l’avortement, dans un contexte où les femmes ont très peu d’informations sur les questions d’avortement et où les anti-choix sont très présents sur les réseaux sociaux », s’insurge auprès de l’Agence France-Presse Sarah Durocher, co-présidente du réseau associatif Planning familial.
Une pétition lancée par la fondatrice du site Grossesse imprévue contre la diffusion du film sur C8 avait recueilli plus de 18 000 signatures, lundi matin. Elle demande au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) d’obliger C8 à instaurer « une contextualisation de ce programme », en rappelant notamment « que le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est ancré dans la loi française ».
Les chaînes déterminent librement le choix de leurs programmes. Après diffusion, il est possible d’alerter le CSA au sujet d’un éventuel manquement à la loi ou à une obligation 2/2 pic.twitter.com/lmInQX4CPA
— CSA (@csaudiovisuel) August 5, 2021
Le régulateur de l’audiovisuel a rappelé sur Twitter que « les chaînes déterminent librement le choix de leurs programmes » et qu’à ce titre « il n’intervient pas dans la programmation des chaînes ». « Après diffusion, il est possible d’alerter le CSA au sujet d’un éventuel manquement à la loi ou à une obligation », ajoute-t-il.
Propagande contre l’IVG, coproduite par un fidèle de Trump
Unplanned se présente ouvertement comme un film de propagande contre l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Le scénario est basé sur l’autobiographie éponyme d’Abby Johnson, l’une des jeunes dirigeantes de Planned Parenthood, l’équivalent américain du Planning familial, au Texas. Dans son récit, elle assure avoir basculé dans le camp des anti-IVG après avoir assisté à l’avortement d’un fœtus de treize semaines.
Le film a été coproduit par Mike Lindell (qui y fait une courte apparition). Ce magnat de l’oreiller fidèle de Donald Trump, ancien toxicomane et chrétien « born again », est aujourd’hui à la pointe du combat appelant à l’annulation de l’élection du président américain Joe Biden en novembre 2020, selon lui entachée par des fraudes qu’il a jusqu’ici été incapable de documenter.
Aux Etats-Unis, la plupart des chaînes américaines, à l’exception de l’ultraconservatrice Fox News et de la chrétienne évangélique CBN, avaient refusé en 2019 de diffuser de la publicité pour le film. Le long-métrage, qui avait construit son succès sur la mobilisation des réseaux chrétiens évangéliques et anti-IVG de la Bible Belt du Centre et du Sud des Etats-Unis, n’avait quasiment pas été distribué dans les grandes métropoles des Côtes ouest et est.
Sur le Web francophone, l’extrait du film censé montrer la « souffrance du fœtus » avait déjà été diffusé de manière virale sur les réseaux sociaux par des militants anti-IVG en 2019. La vidéo avait été vue des centaines de milliers de fois. En réalité, un fœtus est insensible avant vingt-quatre semaines. Ses terminaisons nerveuses ne sont pas suffisamment formées dans le cortex.
En France, le délit d’entrave à l’IVG réprime la désinformation sur le sujet. Les peines peuvent aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende pour « la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une IVG ».
La chaîne C8 appartient au groupe Canal+, détenu par Vivendi, dont le premier actionnaire est Vincent Bolloré. Dimanche 15 août, elle a consacré douze heures de programmation à des programmes catholiques, une première pour une chaîne généraliste privée en France à l’exception de la chaîne catholique KTO. Sous la direction de l’entrepreneur breton, la chaîne d’information CNews a déjà pris un virage ultraconservateur provoquant plusieurs signalements au CSA. En juin, une enquête avait ainsi été ouverte contre un général à la retraite qui avait proféré des propos antisémites à l’antenne.