Né en 1935 à Aix-la-Chapelle, Kurt Salomon dut fuir, avec sa famille, la persécution nazie. Il vécut les cinquante dernières années de sa vie à Genève, où il est récemment décédé. Il a témoigné dans les écoles et pour la Fondation Gamaraal, dont la présidente, Anita Winter, lui rend ici hommage
Kurt Salomon a toujours considéré qu’il était de son devoir de raconter l’Holocauste. Il n’a survécu à la déportation que grâce à une fausse identité. Malgré son grand âge, il se sentait obligé de témoigner dans les écoles. La voix forte avec laquelle il prenait la parole pour combattre l’oubli s’est tue le 2 août.
Voici quelques semaines, alors qu’il était déjà affaibli, Kurt Salomon racontait encore de manière poignante dans une classe genevoise son enfance, marquée par la fuite et une peur permanente. Le parcours d’un enfant juif contraint d’accepter une identité chrétienne. D’un enfant séparé de ses parents. D’un enfant qui a vécu dans un couvent pour échapper à l’Holocauste.
L’histoire de sa vie a ému plus d’un écolier et plus d’une écolière. Ces élèves ont compris ce que cela signifie de se faire priver de sa dignité humaine et de ses droits. Ces élèves ont compris ce que signifie l’humiliation. Ces élèves ont compris que l’Holocauste a encore des conséquences sur la société d’aujourd’hui.
Kurt Salomon était né en décembre 1935 à Aix-la-Chapelle. Alors qu’il n’avait pas encore 3 ans, la synagogue de cette ville allemande fut incendiée, les commerces juifs détruits et les Juifs arrêtés. Son père fut déporté vers le camp de concentration d’Oranienburg. Il fut libéré, mais dut quitter le pays. Toute la famille se réfugia en Belgique. Mais, avec l’avancée allemande, la situation de la famille en exil se détériora. Les Juifs durent aussi porter l’étoile jaune dans ce pays. Les parents sentirent venir la grande catastrophe. Les enfants furent baptisés et cachés pour leur sauver la vie, d’abord dans un couvent puis au sein d’une famille d’accueil. Juste avant la libération, ils furent dénoncés à la Gestapo, mais des partisans les sauvèrent de la déportation. Leur identité juive fut dissimulée derrière leur nouvelle identité chrétienne. C’était le prix de leur survie.
Après la guerre, Kurt Salomon put progressivement se reconstruire sa propre vie. En 1963, il vint s’établir en Suisse car il s’était épris d’une Suissesse. Il vécut cinquante ans à Genève, où il est décédé. Il a eu un fils et une fille, ainsi que deux petits-enfants. Il était toujours souriant. Dans un entretien, il avait cependant déclaré: «Lorsque quelqu’un me demande comment j’ai fait face à l’Holocauste, je réponds toujours que je n’en ai gardé aucune blessure, parce que j’ai le cuir épais. Mais ce n’est pas la vérité. J’ai été profondément meurtri. Je ne fais plus confiance aux êtres humains. Je n’ai confiance qu’en moi-même.»
L’an dernier, en compagnie d’autres survivants de l’Holocauste, il a rencontré la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga. Cet événement avait une grande signification pour lui. Les discussions avec les jeunes étaient aussi importantes. Il a toujours gardé l’étoile jaune de sa jeunesse sur lui, car c’est le symbole même du racisme et de l’antisémitisme. Il plaçait tous ses espoirs dans les générations futures. Juste avant son décès, il m’a dit au téléphone qu’il avait un regret: celui de ne pas être allé témoigner dans les écoles plus tôt. Il lui importait de ne jamais se taire, de ne jamais être indifférent, de ne jamais haïr et de ne jamais oublier. Jamais.
Anita Winter, présidente de la Fondation Gamaraal