Grand rabbin de Moscou (Russie) depuis 1993, Pinchas Goldschmidt est également président de la Conférence des rabbins européens (CER), qui compte environ 600 membres de tout le continent. De passage à Paris, il a confié à « La Croix » son inquiétude face au « double défi » législatif et sécuritaire auquel sont confrontés les juifs européens.
La Croix : Comment la communauté juive européenne s’est-elle adaptée à la pandémie ?
Rabbin Pinchas Goldschmidt : Nous sommes très fiers de ce que les rabbins ont fait. Dans certains pays où les gouvernements tardaient à prendre des mesures, ils les ont devancées, en fermant d’eux-mêmes les synagogues. La vision européenne qu’offre notre réseau a permis cette anticipation, les rabbins voyant ce qui se passait chez leurs voisins.
Pour nous, la vie communautaire est très importante, et la technologie nous a beaucoup aidés. De plus, le numérique a permis de rejoindre des personnes qui, d’habitude, ne se déplacent pas à la synagogue. Cela dit, selon la loi juive, on ne peut faire la prière de shabbat sur Zoom ou autre, donc il nous a fallu être créatifs : certains rabbins ont organisé des services en extérieur, qui ont souvent été très appréciés pour leur caractère informel.
La communauté juive européenne est-elle encore menacée aujourd’hui ?
À travers l’Europe, elle se trouve face à un double défi : celui de la sécurité physique des personnes – menacée par un antisémitisme grimpant – et celui du vote de lois touchant à la liberté religieuse dans un nombre croissant de pays.
Certains politiciens peuvent voter des textes législatifs sans se rendre compte qu’in fine ils finissent par forcer les citoyens juifs à partir. Cela peut être le cas avec des lois sur le bien-être animal, sur la circoncision ou encore sur les signes religieux ostentatoires. L’éducation est aussi concernée, avec, dans plusieurs endroits, des poussées en faveur d’un trop grand contrôle de l’État.
Généralement, ces lois ne sont pas destinées à nous viser, mais les juifs peuvent être des victimes collatérales. Le problème, à mon avis, c’est que certains ne comprennent pas ce qu’est la liberté religieuse : pouvoir être en total désaccord avec les croyances de certaines personnes mais les laisser les pratiquer.
Concernant la sécurité physique, c’est en France, à mes yeux, que la peur est la plus grande, beaucoup plus forte qu’ailleurs en Europe. Je crois comprendre que désormais les différents services de police de votre pays travaillent mieux ensemble, mais il faut surtout infiltrer les poches de radicalisation pour éviter les attaques. D’autant plus que l’histoire récente nous a encore montré que les attaques dont les juifs sont les premières victimes finissent par s’étendre à d’autres pans de la société.
Au niveau européen, quelles relations la communauté juive entretient-elle avec les États et les autres religions ?
De manière générale, il convient de souligner que les relations sont bonnes avec les différents gouvernements. Dans mon pays, la Russie, les échanges sont bons. Nous avons quelques problèmes en Pologne, avec des gouvernements qui veulent changer l’histoire.
Concernant les relations avec les catholiques, celles-ci sont excellentes. Je connais bien un certain nombre de cardinaux et, dès que nous avons un problème, nous sommes aussitôt soutenus par l’Église.
Nous remercions les catholiques, car cela n’a pas toujours été ainsi. Quant au pape François, c’est un ami de la communauté juive. Au sujet des relations avec les musulmans, nous avons créé un forum d’échanges et travaillons ensemble. C’est surtout au niveau local qu’il y a beaucoup d’échanges.
Par Xavier Le Normand