Décès du génial couturier Alber Elbaz, emporté par le coronavirus

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Le légendaire créateur au nœud papillon qui avait ranimé la vénérable maison de couture Lanvin au début des années 2000, est décédé des suites du Covid-19, samedi 24 avril.

Il avait accordé en janvier dernier, un long entretien au Figaro à l’occasion du lancement de sa nouvelle marque AZ Factory. Depuis son départ de la maison Lanvin cinq ans auparavant, il avait plus ou moins disparu des radars de la mode. Pourtant, son retour avait été unanimement applaudi, et sa joie de vivre, son regard lucide et bienveillant sur l’industrie, ses aphorismes sans langue de bois étaient restés intacts.

C’est pourquoi ses nombreux fans ont appris la nouvelle de sa disparition, ce week-end, avec stupeur. Alber Elbaz, le légendaire créateur au nœud papillon, est mort des suites du Covid-19, ce samedi 24 avril, à l’âge de 59 ans.

«J’ai perdu non seulement un collègue, mais aussi un ami bien-aimé, déclarait dans un communiqué, Johann Rupert, président de Richemont, le groupe avec lequel Elbaz s’était associé en 2019 pour lancer sa griffe. Alber avait la réputation bien méritée d’être l’une des personnalités les plus brillantes et les plus appréciées du secteur. J’ai toujours été séduit par son intelligence, sa sensibilité, sa générosité et sa créativité débridée. C’était un homme d’une chaleur et d’un talent exceptionnels, et sa vision singulière, son sens de la beauté et son empathie laissent une impression indélébile.»

Les nombreuses réactions à sa disparition confirment l’immense affection que lui portaient ses pairs. À l’instar de Maria Grazia Chiuri, la créatrice de Dior, qui nous confiait, hier: « Alber était un ami, avant même d’incarner l’extraordinaire talent créatif qui nous a donné une interprétation cultivée, féminine, amusante et humaine du glamour. Il était avant tout une personne empathique et généreuse : son mot préféré était ‘amour’, et sa perte est pour moi une grande douleur.»

Même tristesse pour son successeur aujourd’hui chez Lanvin, le Français Bruno Sialelli: «Je suis très attristé par la disparition d’Alber Elbaz pour qui j’ai un immense respect. Son héritage, sa générosité et son amour continueront d’exister au travers de la maison Lanvin.» Pour Gabriela Hearst, directrice artistique de Richemont, «Le véritable élan d’amour qui se manifeste dans notre secteur est un témoignage de sa générosité. Nous avons perdu un talent inclusif, aimable et exceptionnel. Un exemple de la façon dont nous devrions nous traiter les uns les autres

Le président exécutif de la Fédération de la haute couture et de la mode en France, Pascal Morand, a de son côté réagi sur Twiitter, en lui reconnaissant « tant de talent et aussi du génie« .

Repéré par Pierre Bergé

Alber Elbaz naît en 1961 à Casablanca, au Maroc, puis grandit à Tel-Aviv où il commence très jeune à dessiner des robes. En 1982, il entre au Shenkar College, l’école de mode et de textile de la ville israélienne. Après son service militaire, il s’envole pour New York où il devient le bras droit du couturier Geoffrey Beene. En 1996, il est choisi pour reprendre la direction artistique de Guy Laroche à Paris. Son talent est aussitôt repéré par Pierre Bergé qui, en novembre 1998, le désigne comme successeur d’Yves Saint Laurent à la tête du prêt-à-porter Yves Saint Laurent Rive Gauche. Mais après trois saisons, la maison est rachetée par Gucci Group qui nomme Tom Ford à sa place.

S’il s’octroie une année sabbatique, c’est pour mieux revenir, en 2001, en tant que directeur artistique de Lanvin. Sous son règne, la plus ancienne maison de couture parisienne va connaître un nouvel âge d’or, notamment aux États-Unis où les clientes plébiscitent ses robes de cocktail et sa Parisienne cérébrale et sophistiquée. « Nous avons vécu là-bas une grande aventure, se remémore Elie Top, son ancien assistant chez Yves Saint Laurent et à qui il confie les rênes de la joaillerie chez Lanvin. C’était une expérience stimulante, au cours de laquelle nous étions tous galvanisés par l’admiration commune vouée à Alber, à son talent solaire, généreux. Il faisait preuve de génie, et, surtout, savait emmener ses troupes. Tout le monde était derrière lui, avec la sensation de faire partie d’une épopée.»

Génie de la couture, obsédé par la féminité, le confort et le désir, il habillera les célébrités, de Meryl Streep aux Oscar en 2012, à Nicole Kidman, Gwyneth Paltrow et Catherine Deneuve. Mais surtout, il provoquera des standing-ovation lors de ses défilés devenus des rendez-vous incontournables de la Fashion Week de Paris. « Peu de créateurs parvenaient à faire pleurer le public au passage d’une robe, rappelle Elie Top. Il travaillait vraiment pour les femmes. On ne parlait plus de mode devant ses créations, mais d’une forme de beauté à nu, de vérité pure, qu’il donnait à voir.» Babeth Djian, sa collaboratrice de toujours au stylisme des défilés, complète : « Il travaillait dans la joie et dans l’amour, dans l’humour et la passion, avec toujours une dose d’exubérance. Il avait des étoiles dans les yeux. C’était un homme au talent magistral, à la liberté et à la créativité incroyables. Un des plus grands créateurs au sens noble du terme. Il était l’allié des femmes, de toutes les femmes, les sublimait et voulait toutes les rendre belles.»

 

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Le succès de ses collections, sa personnalité attachante ont fait de lui une star de la mode. Son allure, qui inspirera le logo d’AZ Factory, le rend reconnaissable entre mille : nœud papillon, grosses lunettes, visage poupon. «Ma mère me disait : ‘Sois petit et grand ; grand dans ton travail mais petit dans ta vie, sois simple, sois humble.’», racontait-il. En 2008, Le Figaro écrivait déjà à son sujet: «Elbaz fonctionne à l’humain, à l’empathie, au contact. Lui dit qu’il aime les gens, qu’il n’aime que ça, qu’il ne collectionne rien si ce n’est les lettres qu’on lui adresse. Son monde ignore les textos et l’ordinateur. Sur ses joues rondes, il splashe un parfum sucré, un mélange oriental et musqué, ultrasensuel, un élixir qui rend fou, qui vous colle à la peau après que vous l’avez embrassé. Façon comme une autre de laisser une trace de lui, un sillage qui s’accroche aux autres.»

Durant ses presque quinze ans chez Lanvin, il projette la maison dans la pop culture, dessinant des timbres de La Poste, rhabillant une ligne de maquillage pour Lancôme et une robe pour Minnie Mouse. Mais après son départ chaotique en 2015, il prend du recul, signant tout de même une poignée de collaborations, avec les Éditions de Parfums Frédéric Malle en 2016 (qui donnera la fragrance Superstitious), Converse en 2017 ou encore, Tod’s en 2019.

Une couture fun

Il y a deux ans, il annonçait son come-back avec le lancement de sa marque AZ Factory en partenariat avec Richemont. En janvier, il présentait ainsi la première collection, sa version d’une haute couture moderne, à la silhouette «fun » tournée vers les nouvelles technologies. «Je me suis beaucoup interrogé sur la question de l’âge, disait-il au Figaro, à l’occasion de son retour. Je ne me retrouvais pas dans ce monde où le designer doit avoir 16 ans et le CEO, 22 ans maximum : fais-je encore partie de cette histoire ?» S’il avait regagné sa place sur l’échiquier de la mode, il n’était pas dupe de son époque. « On vit dans un monde qui génère trop de solitude et trop d’agressivité. Un monde qui a trop de ‘likes’ et pas assez de ‘love’. C’est le moment, je crois, de s’autoriser à être soi-même et à s’aimer.»

Source lefigaro