Bernie Madoff, auteur de la plus retentissante fraude financière de l’histoire, est décédé mercredi en prison où il purgeait une peine de 150 ans de réclusion.
Bernie Madoff, gravement malade des reins depuis des mois, est décédé en prison à l’âge de 82 ans. Il purgeait une peine de 150 années de réclusion depuis juillet 2009, pour avoir organisé l’une des plus grandes fraudes de l’histoire de la finance américaine.
Ses clients étaient de riches investisseurs, vedettes du monde du spectacle ou responsables de fondations caritatives. Recrutés à partir du début des années 1990, ils lui avaient confié quelque 19 milliards de dollars. Parmi ces personnalités trompées figurent Liliane Bettencourt, Henry Kaufman, ancien économiste de la maison Salomon Brothers, les acteurs Kevin Bacon et Kyra Sedgwick, mais aussi Enrico Macias, Steven Spielberg et Elie Wiesel.
Bernie Madoff leur faisait croire qu’il investissait leur fortune judicieusement. Il leur produisait tous les trimestres des relevés totalement fictifs, donnant l’impression qu’il savait dégager des rendements mirifiques, même lorsque l’ensemble du marché baissait.
Figure de Wall Street
En réalité, ce courtier natif de Queens avait monté en vingt ans de toutes pièces un système de fraude dite de « pyramide de Ponzi ». Il consistait à recruter sans cesse de nouvelles victimes pour disposer en permanence de fonds suffisants et pouvoir ainsi les distribuer aux clients existants désireux de faire des retraits. L’édifice s’est effondré en décembre 2008.
En raison de la crise financière et de la panique qui commence à saisir nombre de riches investisseurs, Madoff s’avère alors brusquement incapable de répondre aux demandes massives de retraits de fonds de ses clients. Ces derniers croyaient collectivement détenir 65 milliards de dollars. Irving Picard, l’administrateur chargé par la justice de récupérer tout ce que Bernie Madoff, sa famille et ses complices avaient pu voler au fil des ans, ne pourra finalement restituer que 14,3 milliards de dollars aux victimes de la fraude.
D’apparence sympathique, plein d’humour, francophile, maître dans l’art de l’esquive lorsqu’on lui demandait quelle martingale il avait trouvée pour produire de telles performances, Bernie Madoff aurait peut-être pu préserver encore longtemps l’illusion de son génie et cacher sa fraude, si la crise financière de 2008 n’avait fait plonger Wall Street. Outre l’incroyable simplicité de la supercherie conçue par cet escroc de haut vol, le plus étonnant est que les autorités réglementaires ne l’aient pas décelée au cours de leurs multiples inspections.
Le prestige de Bernie Madoff a probablement intimidé les auditeurs. Cette figure du monde new-yorkais de la finance avait notamment été élu président du marché des sociétés technologiques, le Nasdaq, en 1990, 1991 et 1993. Pour échapper aux limiers de la Securities & Exchange Commission (SEC), il faisait croire qu’il ne gérait que 23 comptes. En fait, il avait plus de 4 000 clients.
Une double vie
Autre ruse, il possédait en fait deux sociétés. L’une, parfaitement légitime, était une maison de courtage occupant les 18e et 19e étages du Lipstick Building de Manhattan. Ses fils Mark et Andrew y travaillaient. L’autre était sa société de gestion d’actifs, dans des bureaux situés au 17e étage du même gratte-ciel, et où pratiquement personne ne pouvait entrer.
Ses complices ? Son frère, Peter, qui finit par plaider coupable de fraude et falsification de relevés, pour être condamné à dix ans de prison. Son lieutenant, Frank DiPascali Jr., et deux comptables de seconde zone, David Friehling et Paul Konigsberg, écopèrent quant à eux de peines légères. Madoff, par souci de les épargner, ou avec sincérité, insistera toujours pour prendre la totalité de la responsabilité de la fraude sur ses épaules.
L’affaire Madoff éclate un soir de décembre 2008, lorsque, aux abois, l’escroc finit par avouer sa fraude et sa double vie à ses fils et à son épouse Ruth. Mark et Andrew comprennent immédiatement les conséquences de cet aveu et préviennent le FBI. Pour eux, la vie dorée bâtie sur l’escroquerie de leur père s’arrête du jour au lendemain. Fini les appartements luxueux à Manhattan, la maison de rêve au bord de la plage à Long Island, le yacht baptisé Bull, la résidence de Palm Beach (Floride) et celle encore plus belle au Cap d’Antibes.
Après plusieurs jours cloîtré dans son appartement de Manhattan, Bernie Madoff, casquette noire de base-ball sur la tête, est incarcéré. Il plaide coupable, ce qui simplifie son procès. En juillet 2009, il devient le prisonnier #61727-054 du pénitencier fédéral de Butner, en Caroline du Nord.
Dans sa cellule, le financier déchu fait preuve du même cynisme qui a guidé sa vie. Interviewé en prison, il dénigre les victimes de sa fraude, les accusant d’être crédules, naïves et, c’est un comble, accros à l’argent facile. « Je refusais souvent de prendre leur argent. Mais ils insistaient », explique-t-il comme pour se disculper.
Rattrapé par les remords
Le plus terrible pour Bernie Madoff n’est visiblement pas d’avoir mis sur la paille des centaines de personnes qui lui avaient fait confiance aveuglément. En revanche, le suicide par pendaison de son fils Mark, en décembre 2010, l’atteint au plus profond. D’autant que son épouse Ruth, brisée par cette tragédie, cesse alors toute communication avec lui. En septembre 2014, son autre fils, Andrew succombe à un cancer. Bernie Madoff est alors rattrapé par les remords. Interrogé au téléphone par un journaliste de CNN, il lâche : «Je suis responsable de la mort de mon fils Mark, et ça, c’est très très difficile… je dois vivre avec ça. Je vis avec le remords, la douleur que j’ai causée à tout le monde, certainement à ma famille et aux victimes. »
Prototype du psychopathe charmeur, Bernie Madoff cachait en fait un mépris profond pour l’establishment de Wall Street qui, dans les années 1970, lui apparaissait comme un club fermé. À ses yeux, les nouveaux arrivants et les innovateurs étaient respectés s’ils s’enrichissaient, mais n’étaient au fond jamais vraiment intégrés. Fils d’un marchand d’articles de sport, éduqué dans des universités de second rang, bien loin du prestige des voies royales que sont Harvard, Yale et Princeton, il souffrait de ne pas faire partie du club.
Son succès en tant que courtier et son ascension parmi les barons du Nasdaq, un marché créé précisément pour casser le monopole du New York Stock Exchange, ne lui suffisaient pas. Il éprouvait le besoin d’être perçu comme un financier de génie et un gourou. La fraude lui en donna le statut et le train de vie pendant près de vingt ans…