Cette excellente chronique de Michel Taube vient nous rappeler que Joe Biden est avant tout un « POTUS » pragmatique et parfois boutefeu, eh oui, décevant….
La France aime Joe Biden, le rassurant, intelligent et gentil nouveau président américain. Ô, il n’est pas encore autant adulé que Barak Obama, idole de la bienpensance, devenu auteur de best-sellers et conférencier à 100.000 euros le quart d’heure au cours duquel il réinvente les lumières : la paix, c’est mieux que la guerre ! Mais entre deux tranches démocrates, nous avons eu le bacon Trump (Vade retro satanas) et donc, on savoure l’arrivée à la Maison-Blanche d’un ami de la France et du monde.
Biden, au moins, ne va pas faire obstinément du « America first » et déclencher des conflits tous les matins ! Quoi, il vient de bloquer 30 millions de doses du vaccin AstraZeneca made in USA et destinées à l’export ? Ce vaccin n’est pas américain et n’est d’ailleurs même pas homologué aux États-Unis. Mais on ne sait jamais. Au cas où l’Amérique en aurait besoin.
Pire, le gentil Biden a conservé le Buy American Act de Trump qui permet à l’Etat fédéral d’acheter en priorité aux entreprises américaines. Encore mieux : les seuls décrets de la fin du mandat de Trump que le nouveau locataire de la Maison Blanche a conservés concernent la surveillance des communications numériques partout dans le monde (cloud…), sous prétexte de sécurité des Etats-Unis et dans l’intérêt bien compris de leur renseignement économique.
Revenons à la diplomatie : le « commander in chief » de la première puissance du monde vient donc de traiter le maître du Kremlin de « tueur », par référence à l’empoisonnement de l’opposant russe Alexeï Navalny en août 2020. Joe Biden a assuré que Vladimir Poutine « paiera les conséquences » de l’ensemble de ses malfaisances, y compris ses ingérences dans les élections américaines de 2020.
Si le volontarisme politique et le savoir-faire logistique américain laissent espérer une vaccination rapide de toute la population, si le plan de relance américain peut faire des envieux en Europe (leur « quoi qu’il en coûte », c’est 1900 milliards de dollars, en plus de ce que Trump avait déjà mis sur la table), le reste, en particulier à l’international, est plutôt inquiétant. La Russie a déjà rappelé son ambassadeur aux États-Unis pour consultations, craignant une dégradation « irréversible » des relations entre les deux pays. On se croirait revenu à la guerre froide, d’autant plus que Vladimir Poutine n’est pas exempt de tout reproche dans cette surenchère pré-militaire. Biden a-t-il oublié que l’Amérique avait déjà contribué à l’effondrement de l’Union soviétique, financièrement incapable de suivre les États-Unis dans la course à l’armement (la fameuse « guerre d’étoiles » chère à Ronald Reagan) ?
Avec la Chine, Biden fait aussi du Trump, donc menace d’une guerre commerciale et diplomatique son rival principal. C’est toujours ainsi que cela commence… Et puis il y a l’Iran. On peine à comprendre si la politique de Biden penche plus du côté des représailles, voire du conflit armé, ou de celui du retour à la table de négociations. L’Europe n’est pas plus claire. Elle rêve de marchés iraniens tout en constatant que les Ayatollahs reprennent (ou perpétuent ?) leur quête de l’arme nucléaire. A la veille de Norouz, profitons-en pour saluer le peuple iranien qui mérite mieux qu’une théocratie pour son avenir.
Décrire le président russe comme un « tueur » a quelque chose de puéril, venant d’un président américain. Tout comme d’ailleurs ses velléités de prendre ses distances avec l’Arabie Saoudite au motif que le prince héritier Mohammed ben Salmane a ordonné l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Chouette, la France pourra espérer vendre des « Rafale » aux Saoudiens !
Les États-Unis ont-ils les mains propres ? N’ont-ils jamais fomenté de coup d’État, d’assassinat politique ? Ne sont-ils pas les champions du monde des éliminations ciblées (la France se débrouille pas mal) ? La realpolitik, comme disent les Allemands, obéit à d’autres règles. Certes, Vladimir Poutine est un autocrate qui rêve d’une grande Russie comme Recep Tayyip Erdoğan rêve de rétablir l’Empire ottoman. En toute logique, les États-Unis, pays vertueux de l’équité, de la morale et des droits de l’Homme (ha non, les droits de l’Homme, c’est nous !) devraient rompre leurs relations (ou faire la guerre) avec les trois-quarts des pays de la planète. À ce point, cela devient risible.
L’attitude américaine donne du crédit à ceux qui préconisent une distanciation d’avec l’Oncle Sam et un rapprochement de la Russie. Certes, les trois quarts de cet immense pays sont en Asie, mais 78 % de sa population vit en Europe. La Russie est profondément européenne, n’en déplaise aux pays de l’Europe de l’Est, la Pologne au premier chef, dont l’Histoire explique la méfiance à l’égard du géant russe.
Depuis plusieurs décennies, l’Amérique s’est désintéressée de l’Europe, se désengage du Moyen-Orient, se replie sur elle-même, tout en gardant un œil sur la Chine. L’Asie est son premier centre d’intérêt à l’étranger, et c’est là que Joe Biden fera son premier voyage hors des États-Unis. L’Amérique se contrefiche désormais de notre sort. Si l’Europe subissait une attaque terroriste massive (plus vraisemblable qu’une invasion de chars néo-soviétiques), l’Amérique viendrait-elle à notre secours, comme durant les deux guerres mondiales ? Juridiquement, elle le devrait, du fait de l’OTAN. Mais l’OTAN, c’est les États-Unis !
Cela dit, la France peut avoir une politique russe plus affirmée tout en continuant à s’outrer du sort d’Alexeï Navalny, dont nous espérons bien qu’il sera rapidement libéré et un jour en position de pouvoir être librement candidat à la présidence de la Russie. Cela n’oblige pas à renoncer à entretenir les meilleures relations possibles avec notre allié américain traditionnel, qui nous a effectivement déjà sauvé la mise à plusieurs reprises, certes pas uniquement pour nos beaux yeux.
La guerre comme la paix, c’est aussi de la realpolitik. Mais cessons d’être naïfs. Joe Biden n’est pas la fée que l’on nous a présentée. Il n’est qu’un président de transition, la vraie fée démocrate devant être Kamala Harris, programmée pour prendre le relais dans quatre ans… au plus. Elle risque de trouver sur sa route un certain Donald Trump, s’il survit politiquement et financièrement aux procédures judiciaires qu’il devra affronter. Un ancien président français en sait quelque chose !
Michel Taube