Il n’y a pas que les israéliens qui au Moyen-Orient clouent le Hezbollah au pilori. L’assassinat de l’intellectuel Lokman Slim s’inscrit dans une longue liste de crimes commis par le Hezbollah au Liban.
A la différence des organisations djihadistes, le Hezbollah ne revendique pas les meurtres qui lui sont imputés. Tout aveu de responsabilité compromettrait, en effet, les activités politiques du « Parti de Dieu » et sa participation au Parlement comme au gouvernement. Un tel silence contraste avec la célébration par le Hezbollah de sa « résistance islamique » face à Israël. Il n’en contribue pas moins à entretenir au Liban une menace toujours diffuse, parfois sanglante, contre l’opposition au parti pro-iranien. Chaque voix critique doit savoir qu’elle s’exprime au péril de sa vie, ainsi que l’assassinat de Lokman Slim, intellectuel chiite aussi respecté qu’écouté, le rappelle tragiquement. Une telle chape de terreur rappelle, à bien des égards, l’omerta longtemps imposée par la Mafia en Sicile.
Une litanie d’attentats
Le Hezbollah est fondé durant l’été 1982, dans la plaine libanaise de la Békaa, sous l’égide des renseignements syriens et des pasdarans iraniens, les gardiens de la révolution. Ce double parrainage nourrit jusqu’à ce jour la coopération opérationnelle du Hezbollah avec le régime Assad et son allégeance organique à la République islamique d’Iran. En ne proclamant son établissement officiel qu’en février 1985, le Hezbollah s’est épargné la revendication des attentats-suicides qui ont ensanglanté Beyrouth en 1983 (63 morts dans la destruction en avril de l’ambassade des Etats-Unis, puis 241 militaires américains et 58 français tués dans l’attaque en octobre de leurs casernes). La milice chiite s’est également abritée derrière le rideau de fumée de L’Organisation du Jihad islamique pour détenir, durant parfois des années, des otages occidentaux (dont Michel Seurat, mort en captivité en janvier 1986). Ces attentats et ces enlèvements ont tous été dirigées par Imad Mughnyeh, promu ensuite chef militaire du Hezbollah, jusqu’à son assassinat à Damas en 2008.
Le Tribunal spécial sur le Liban (TSL), créé par décision du Conseil de sécurité de l’ONU en 2007, a condamné un membre du Hezbollah, Salim Ayyash, pour l’attentat de février 2005 à Beyrouth, où l’ancien premier ministre, Rafic Hariri, et 21 personnes avaient été tués. Le procès a été troublé par la disparition de plusieurs témoins-clés et la destruction de pièces à conviction. Le général Wissam Al-Hassan, relais privilégié des enquêteurs du TSL à Beyrouth, a même été tué dans l’explosion d’une voiture piégée, en octobre 2012. Le parallèle s’impose une fois de plus avec, en Italie, les entreprises de sabotage des jugements anti-mafia. Ce travail de sape a permis la relaxe des trois autres membres du Hezbollah inculpés, tandis que la milice pro-iranienne avait imposé le jugement de ses partisans par contumace et rejeté par avance les conclusions du TSL. Les juges n’en ont pas moins considéré que le « cerveau » de l’attentat était Mustafa Badreddine, le successeur de Mughnyeh à la tête de la branche militaire du Hezbollah, tué près de Damas en 2016. Le TSL a également ouvert en 2019 une procédure contre Ayyash pour trois attentats contre des politiciens libanais, dont celui qui a coûté la vie au leader communiste George Haoui, en juin 2005. Ayyash est toujours en fuite.
Liquider les voix dissidentes
Dès sa fondation, le Hezbollah entend établir par la force un double monopole, d’abord sur la résistance à Israël, qui occupe alors le Sud-Liban, puis sur la communauté chiite. Tandis que les miliciens pro-iraniens éliminent méthodiquement les combattants progressistes au Sud-Liban, des attentats visent le Parti communiste, implanté de longue date dans la population chiite. C’est ainsi que le journaliste Soheil Tawila est assassiné en février 1986, suivi du philosophe Hussein Mroué, un an plus tard, et de Hassan Hamdan, surnommé le « Gramsci arabe », en mai 1987, pour ne citer que certaines des personnalités communistes alors éliminées. La fin officielle de la « guerre civile », avec les accords de Taëf qui entérinent, en 1989, la tutelle syrienne sur le Liban, amène le Hezbollah à suspendre cette campagne d’assassinats. Mais le mode opératoire de l’attentat contre Hariri, réalisé par le Hezbollah pour le compte de Damas, ouvre une nouvelle séquence de meurtres de patriotes libanais, par lesquels le régime Assad se venge d’avoir dû mettre fin à trois décennies d’occupation du pays. C’est ainsi que sont, entre autres, assassinés en 2005 les journalistes Samir Kassir (en juin) et Gibran Tuéni (en décembre).
L’intervention du Hezbollah aux côtés du régime Assad est dénoncée par le député Mohammed Chattah, tué dans l’explosion d’une voiture piégée à Beyrouth, en décembre 2013. Lokman Slim dressait, lui aussi, le double procès de l’autoritarisme du Hezbollah et de la dictature Assad, dont il avait mis en scène la barbarie au quotidien dans une extraordinaire reconstitution, avec d’anciens détenus, de la prison de Palmyre. Il animait avec courage une institution culturelle, vouée au pluralisme et aux échanges, au cœur même de la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah. Il venait même d’organiser une rencontre de personnalités chiites, critiques du Hezbollah, avec un représentant de l’administration Trump. Cible de menaces répétées, il tenait publiquement le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, pour responsable de tout ce qui pourrait lui arriver. Ses proches n’ont, dès lors, aucune confiance dans la justice libanaise et exigent une enquête internationale. La même exigence avait été émise au lendemain de l’explosion catastrophique dans le port de Beyrouth, le 4 août dernier, une exigence alors enterrée par le président Aoun.
L’intellectuelle Mona Fayad, très proche de Slim et elle aussi chiite, a, néanmoins, affirmé que cet assassinat n’entamera pas la détermination à résister à l’emprise du Hezbollah: « C’est à l’Etat libanais de protéger ses citoyens. Nous devons répondre massivement, comme Libanais, à ce défi. Pas question de recourir aux moyens violents dont ils se servent. Je suis contre la violence. Ce qui s’est passé est un défi lancé à nos forces de sécurité. Sur le plan personnel, certes, la question de ma propre sécurité se pose. Je suis mère et grand-mère comblée de deux adorables petits-enfants. Les miens seraient heureux que je choisisse de me mettre en sécurité hors du Liban. Mais il n’en est pas question ». Un engagement à méditer, face à l’impunité des assassins.
Les Libanais ne veulent pas se mouiller, ils attendent que ce soit les autres, alors que d’autres Libanais résistent comme ils peuvent !