On devrait savoir le 27 janvier si l’homme accusé d’avoir posé une bombe contre la synagogue de la rue Copernic le 3 octobre 1980, à Paris, est renvoyé devant une cour d’assises. Ou si son innocence est reconnue, mettant ainsi un terme à l’affaire.
C’est un dossier hors norme jusque dans les hasards du calendrier. Le 27 janvier, soixante-seize ans après la libération d’Auschwitz, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris rendra une décision cruciale dans l’enquête sur l’attentat antisémite du 3 octobre 1980 contre la synagogue parisienne de la rue Copernic. Si le non-lieu prononcé en 2018 en faveur du terroriste présumé Hassan Diab, 67 ans, est confirmé, le dossier sera clos. Au prix d’un fiasco pour l’institution judiciaire, pour les victimes et pour le suspect emprisonné en France de 2014 à 2018. Si le non-lieu est infirmé, celui-ci comparaîtra devant une cour d’assises spéciale. C’est ce que demandent le ministère public et les parties civiles. Quant à Hassan Diab, Canadien d’origine libanaise retourné dans son pays en 2018, il estime que «justice a enfin été rendue». Pour son avocat canadien, il est «le Dreyfus de ce siècle», «un musulman» devenu «bouc émissaire».
Étrange fin de parcours pour l’un des plus vieux dossiers judiciaires. Ce vendredi 3 octobre 1980, plus de 300 personnes sont réunies dans la synagogue de la rue Copernic. Le service religieux a pris du retard. À 18 h 38, une explosion ravage la rue où auraient dû se trouver les fidèles sans ce détail providentiel. Arrimée sur une moto, la bombe tue une journaliste israélienne, Aliza Shagrir, un chauffeur, Jean-Michel Barbé, un concierge des environs, Hilario Lopes-Fernandes, et un jeune motard, Philippe Bouissou. On relève 46 blessés. L’extrême droite est accusée. À tort. Le travail des enquêteurs de la brigade criminelle du commissaire Marcel Leclerc mène à un groupe palestinien au Liban.
Dans les jours précédant l’attentat, un homme, avec un faux passeport chypriote, a loué une moto, dormi dans un hôtel où il a rempli une fiche, couché avec une prostituée et volé un outil dans un grand magasin. Interpellé, il a été entendu par la police et a signé un procès-verbal. Ses empreintes n’ont pas été relevées et, en ces temps lointains, point d’ADN prélevé. Mais des portraits-robots dressés par les témoins. Dans la guerre civile libanaise, l’enquête est impossible. Mais la piste se confirme. Dans les années 1980, une note de la «Crim» pointe un groupuscule palestinien, le FPLP-Opérations spéciales.
Guerre d’experts
En 1999, nouvelle note, de la DST. Certaines langues terroristes se délient manifestement avec le temps. Le poseur de bombes présumé serait Hassan Naïm Diab, dit Amer, né en 1953 à Beyrouth, ayant immigré aux États-Unis dans les années 1980 et devenu citoyen canadien. Des pistes sont explorées contre d’autres suspects, en Norvège, au Chili, au Proche-Orient, évitant une clôture de l’enquête. En 2007, le juge Trévidic succède au juge Bruguière alors qu’à la DST et à la «Crim» des policiers ont aussi passé le témoin. «Un service de renseignement, c’est une mémoire», note à l’époque un ancien patron du «rens», alors qu’un vétéran de l’antiterrorisme donne sa formule magique: «Ne pas oublier et consacrer du temps et des hommes pour sortir des affaires.»
En 2008, la France demande l’extradition de Hassan Diab, professeur de sociologie à Ottawa, qui ressemble étrangement au portrait-robot du terroriste de 1980. Jusqu’aux cheveux mi-longs qu’il rasera après sa mise en cause. L’extradition est accordée en 2014 non sans qu’un juge d’Ottawa parle d’un dossier «faible» et estime qu’«une condamnation dans un procès juste et équitable était improbable». Quelques années plus tôt, le suspect déclarait au Figaro: «Je suis victime d’une homonymie. Je n’ai jamais appartenu à aucune organisation palestinienne, ni milité politiquement.» Mais les éléments à charge remettent en cause cette ligne de défense. D’abord sur l’«apolitisme» de Diab. En 1988, sans lien avec la procédure Copernic, un ex-militant du FPLP précise à la police française que Diab, comme son ex-épouse, Nawal Copty, étaient actifs au sein du mouvement. Réentendu en 2008, il confirme et précise même qu’en 1980 il était frappé par la ressemblance entre Diab et le portrait-robot. Le témoignage spontané d’une ex-petite amie américaine sème aussi le trouble: son amant lui aurait confié avoir déjà «fait exploser une voiture». Il aurait aussi épousé Nawal Copty «pour la protéger» car «elle n’était pas innocente».
La thèse de l’homonymie est également mise à mal. D’abord par l’analyse graphologique. Trois experts judiciaires comparent l’écriture de Diab dans les années 1980 avec les écrits du terroriste. «Parfaitement compatibles» pour le premier expert, avec de «nombreuses concordances» pour le second et une forte présomption pour le troisième. La défense produit des contre-expertises. Une nouvelle expertise de 2019 ne peut rien exclure. Si un procès a lieu, une guerre d’experts opposera les spécialistes mandatés par la justice et ceux produits par la défense.
Autre élément remettant en cause l’homonymie: le mystère du vrai passeport de Hassan Diab. Le 8 octobre 1981, un membre du FPLP-Opérations spéciales est interpellé à Rome avec huit documents d’identité portant différents noms. Parmi eux, le passeport libanais de Hassan Diab. Sur ce document, dont Paris obtiendra copie, un visa espagnol du 17 septembre 1980, un tampon d’entrée en Espagne du 18 septembre et un tampon de sortie du 7 octobre, peu après l’attentat. Or, pour l’accusation, les terroristes de Copernic sont venus de Beyrouth à Paris via Madrid. Tout aussi troublantes, les versions successives données par Diab. Le 17 mai 1983, il explique à des policiers libanais qu’il a perdu son passeport en avril 1981.
En 2011, devant la justice canadienne, ses avocats expliquent que le document prouve que leur client était en Espagne et non en France le 3 octobre 1980. Enfin, en 2016, Diab explique à un juge français qu’il a perdu ce passeport à la mi-septembre 1980, tombé de sa moto sur une route libanaise. Un tueur l’aurait donc trouvé, aurait foncé pour décrocher un visa espagnol le 17 septembre avant d’aller commettre un attentat avec un document portant toujours la photo de Hassan Diab… Dernier élément: une «note blanche» des services de renseignement israéliens, peu bavards en général, indiquant qu’«Amer», alias Hassan Diab, était bien fiché depuis 1984.
En 2015, l’affaire semble s’orienter vers un procès. Mais tout change avec un nouveau juge principalement en charge du dossier, Jean-Marc Herbaut, un nouvel avocat de la défense, William Bourdon, et un suspect qui parle après un an de silence. Le juge croit manifestement à son innocence. Et les parties civiles s’inquiètent très vite d’un non-lieu balayant le travail de la «Crim», de la DST, de la DCRI, des juges Bruguière et Trévidic, mais aussi les doutes du parquet, du parquet général et de la chambre de l’instruction de la cour d’appel. Des demandes de remises en liberté sont déposées, avec, à chaque fois, l’opposition du parquet et un maintien en détention par la chambre de l’instruction. Le ministère public se dit «effaré» d’une volonté de «coller aux thèses de la défense». La chambre estime qu’«il existe des indices graves et concordants rendant plausible l’implication de Hassan Diab». Alors que Me Bourdon déplore un acharnement et évoque «l’émotion légitime des victimes et leur besoin à tout prix d’avoir un coupable à leurs terribles souffrances».
Attestation de l’université de Beyrouth
Qu’est-ce qui a vraiment changé? Un point et un seul: le suspect produit une défense d’alibi des plus classiques. Son ex-épouse, Nawal Copty, informaticienne en Californie, avait refusé de répondre aux questions du juge Trévidic en 2008, se protégeant derrière son droit de ne pas faire de déclarations pouvant l’incriminer aux États-Unis. En 2016, elle assure que Hassan Diab l’a amenée à l’aéroport de Beyrouth le 28 septembre 1980. D’anciens étudiants de la faculté de sociologie de Beyrouth, où étudiait Diab en 1980, assurent qu’il a révisé les examens avec eux et qu’il n’a pas quitté le pays. L’université de Beyrouth certifie que des examens de sociologie ont eu lieu en octobre 1980. La chambre de l’instruction note toutefois que le témoignage de Copty «n’est en l’état assorti d’aucun élément matériel de preuve» et que «les investigations conduites au Liban ne s’accompagnent pas davantage d’éléments de preuve matérielle indiscutable». En novembre 2017, le parquet de Paris requiert le renvoi de Diab devant une cour d’assises. Il juge «nécessaire un examen par une juridiction de jugement et une discussion contradictoire des éléments à charge et à décharge».
Le non-lieu est prononcé en janvier 2018. Les charges ne seraient pas «suffisamment probantes» et se heurteraient «à trop d’éléments à décharge». Les témoignages et l’attestation de l’université de Beyrouth permettraient d’«estimer que Hassan Diab se trouvait vraisemblablement au Liban pendant cette période». Le parquet fait appel, mais le suspect peut s’envoler pour le Canada. Son avocat loue l’«indépendance des juges d’instruction» et les parties civiles s’indignent. «Il y a pourtant dans le dossier suffisamment de charges pour justifier au moins d’un procès en cour d’assises, où ces éléments seraient exposés publiquement et contradictoirement dans le respect des droits de la défense», note Me David Père, l’avocat d’une victime et de l’Association française des victimes du terrorisme. L’affaire traîne encore trois ans.
En octobre 2018, un supplément d’information est confié à un nouveau juge pour une contre-expertise d’écriture, expertise non conclusive rendue en novembre 2019. Suivent la grève des avocats et le Covid. Et l’examen du dossier par la chambre de l’instruction le 26 novembre 2020. Le parquet général demande un procès. Me Bourdon estime que «tout a été entrepris pour faire émerger la vérité, et la vérité est que Hassan Diab est innocent». Avocat historique des victimes, Me Bernard Cahen affirme que «cette affaire doit venir devant une cour d’assises. Si Hassan Diab doit être acquitté, il sera acquitté. Mais on ne veut pas que cela résulte d’une ordonnance d’un juge d’instruction.» Réponse le 27 janvier.
Jean Chichizola