Emmanuel Macron est arrivé lundi à Vilnius. Le gouvernement lituanien voudrait que l’ex « Jérusalem du Nord », anéantie par nazis et soviétiques, puisse regarder son passé trouble en face.
Vilnius était au début du XXe siècle une ville multiethnique, entre Polonais, Juifs, Bélarussiens et Lituaniens. Mais au cours du XXe siècle, avec la Première Guerre mondiale, la chute de l’Empire russe, l’attaque polonaise, l’invasion soviétique suite au Pacte Molotov-Ribbentrop, l’invasion d’Hitler et la deuxième invasion soviétique jusqu’en 1991, le multiculturalisme de Vilnius a totalement disparu, dans le sang et la mort. Que faire maintenant ? Les autorités lituaniennes tentent de regarder leur histoire en face.
Vilnius, Wilno, Vilne, Vilnia
Quatre manières de parler de cette ville. Vilnius en lituanien, Wilno en polonais, Vilne en yiddish et Vilnia en bélarussien. En 1316, les Lituaniens ont créé cette ville. Avec le Grand-Duc de Lituanie, Gediminas, qui se reposait près de la rivière, Vilija ou Néris, où il a décidé de fonder sa capitale. Cette création par le Grand-Duc Gediminas va permettre aux Lituaniens d’avoir une raison historique pour revendiquer Vilnius, une capitale entièrement lituanienne.
Pourtant, à la fin du XIXe siècle, en 1897, lors du premier recensement organisé par l’Empire russe, il y avait 154 500 habitants dans Vilnius/Wilno/Vilne/Vilnia, 62 000 Juifs, 48 000 Polonais, 30 000 Bélarussiens et seulement 3 000 Lituaniens.
La plupart des Polonais, Bélarussiens et Lituaniens réclamaient cette ville comme une capitale pour leur peuple, quand ils se seraient débarrassé de l’Empire Russe. Quant aux Juifs, ils se méfiaient du nationalisme des lituaniens, polonais et bélarussiens. De plus, les Juifs de Vilne parlaient russe.
Une capitale de la vie culturelle bélarussienne qui renaît
Vilnia, à la fin du XIXe siècle-début du XXe siècle, était une capitale de la vie culturelle bélarussienne avec des écrivains, des poètes, des politiciens. Et aujourd’hui, les Lituaniens souhaiteraient aider leurs voisins, les Bélarussiens dans la difficulté politique et dans la lutte pour la démocratie. La Lituanie ont accueilli la candidate de la présidentielle au Bélarus Svetlana Tikhanovskaïa, qui s’est réfugiée avec ses enfants, alors que son mari, le blogueur Siarhei Tsikhanouski, est encore en prison. Emmanuel Macron la rencontrera d’ailleurs mardi matin à Vilnius.
La Lituanie joue le rôle de « grand frère » pour le Bélarus. La Lituanie est grande ouverte pour l’opposition bélarussienne, le site internet « Charter97 » est un site d’opposition installé à Vilnius et les opposants qui doivent se cacher peuvent toujours tenter de fuir le régime de Loukachenko. Vilnius accueille des étudiants du Bélarus pour des études complètement libres. L’échange universitaire à Vilnius avec les étudiants du Bélarus s’appelle « Le Grand Duché de Lituanie » ! Les Lituaniens attendent des relations, comme « avant ». Et fin août, les Lituaniens ont organisé une chaîne avec des drapeaux du Bélarus depuis Vilnius, jusqu’à la frontière au nord de Minsk.
Rapprochement politique également
Le drapeau du Bélarus « blanc, rouge, blanc » et les armoiries du pays sont les mêmes que la Lituanie indépendante, c’est-à-dire les armoiries du chevalier du « Pahonia ». Ces relations avec le Bélarus indépendant sont très liées à l’histoire de Vilnia/Vilnius. Les indépendantistes voulaient que Vilnia soit la capitale du nouvel état bélarussien, mais vu la situation à Vilnia en 1918-1919, avec de nombreux combats, les indépendantistes furent obligés de choisir Minsk. A partir de ce moment là, les Bélarussiens ne vont plus revenir vers Vilnia.
De nos jours, le gouvernement lituanien souhaite se rapprocher du Bélarus, au nom du passé commun entre les deux pays, en particulier de l’opposition au régime de Loukachenko. Une opposition qui reprend le drapeau et les armoiries de 1918.
L’an dernier, le gouvernement lituanien a organisé une grande manifestation officielle concernant l’histoire du Bélarus à Vilnius/Vilnia. En 1864, 21 rebelles bélarussiens, dont leur chef, Kastous Kalinowski, ont été fusillés à Vilnius/Vilnia par des gendarmes du Tsar. Kalinouski était le créateur, à Vilnia, du journal « Mujitskaïa Prauda », un journal favorable au Royaume de Pologne, au Grand Duché de Lituanie et les principautés du Bélarus, où l’Union de la Pologne et de la Lituanie-Belarus.
Les gendarmes du Tsar avaient dispersé les 21 cadavres dans la région de Vilnius. Et en juin 2017, on a retrouvé des corps, identifiés à 95% comme ceux des rebelles tués en 1864. L’an dernier, la Lituanie leur a rendu hommage avec tous les honneurs de l’armée lituanienne dans la Basilique Saint-Stanislas.
Pour célébrer ces 21 rebelles bélarussiens, la Lituanie a invité des milliers de personnes venues du Bélarus, avec des milliers de drapeaux bélarussiens. Vilnius n’avait pas vu autant de drapeaux étrangers depuis très longtemps.
Un traité d’amitié avec la Pologne
Le 16 février 1918, la Lituanie devenait indépendante. Elle souhaitait que Vilnius devienne la capitale du jeune pays. Mais le 7 octobre 1920, l’armée polonaise attaque Vilnius et exclue les Lituaniens de Wilno. La Lituanie retire sa capitale vers Kaunas. Il n’y avait plus de Lituaniens à Vilnius, plus de Bélarussiens à Vilnia, juste des Polonais à Wilno et des Juifs à Vilne.
Le 28 août 1939, dans le Pacte Molotov-Ribbentrop, il était prévu que Vilnius revienne à la Lituanie. Mais le gouvernement lituanien était plutôt méfiant, car le prix à payer était que la Lituanie devienne une République Socialiste Soviétique. Staline, et les communistes lituaniens, voulaient une Vilnius sans Polonais. Un « échange » de population a eu lieu entre des Lituaniens qui habitaient en Pologne et des Polonais qui habitaient Wilno et sa région. Les Polonais quittent Wilno entre 1944 et 1948. Il y avait en Lituanie 250 000 Polonais avant la guerre et il restait 25 000 Polonais en 1948.
A l’époque de la Lituanie soviétique, la minorité polonaise a vécu dans la difficulté. Peu de Polonais de la région de Vilnius se sont intégrés. Ils préféraient apprendre le russe plutôt que le lituanien. Pour cette petite communauté polonaise, la chute de l’URSS et le retour de l’indépendance furent une catastrophe tellement les relations avec les Lituaniens étaient très tendues.
En 1991, après l’URSS, il a fallu reparler entre Lituaniens et Polonais. Un traité d’amitié a été signé en 1994 entre les deux pays. Et aujourd’hui, les relations sont très bonnes entre Varsovie et Vilnius. En juillet dernier, le Président de la République de Lituanie Gitanas Nausėda et la première dame Diana Nausėdienė sont partis en Pologne pour leur première visite officielle, notamment pour rencontrer la communauté lituanienne de Varsovie. Les Lituaniens souhaitent désormais des relations apaisés avec les Polonais, y compris avec les Polonais de Vilnius/Wilno.
Sensibiliser à la Shoah malgré des héros collaborateurs
En 1941, lorsque les Nazis envahissent la Lituanie, les Juifs sont massacrés. Sur 200 000 Juifs, 95% ont été tués par les nazis et leurs collaborateurs lituaniens. Le 14 juin 1941, le ghetto de Vilnius fut liquidé, plusieurs dizaines de milliers de Juifs fusillés dans la forêt de Poneriai, à 10 kilomètres de Vilnius. A Poneriai, les Einsatzkommandos, aidés par des milliers de volontaires lituaniens, ont exécuté des Juifs dans des fosses, environ 21 000 en quelques mois. Il y avait 70 000 Juifs à Vilne en 1939, 7 000 ont survécu à la fin de la guerre.
Appelés Litvaks, les juifs lituaniens formaient, jusque dans les années 1940, une communauté dynamique qui a fait fleurir la littérature yiddish et la vie religieuse. De nombreux hommes politiques, tel l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak, des hommes de culture comme l’écrivain Amos Oz, des artistes et entrepreneurs ont des racines lituaniennes. « La Lituanie a perdu une partie de son âme durant l’Holocauste« , avait tweeté le ministère lituanien des Affaires étrangères lors de la visite du pape en 2018.
Aujourd’hui, il reste 3 000 Juifs en Lituanie. Le gouvernement lituanien organise des manifestations pour sensibiliser les jeunes Lituaniens à la Shoah. Les Lituaniens ont demandé pardon, comme le président de la République (1998-2003), Valdas Adamkuš aux Juifs, à Jérusalem. Vilnius était la Jérusalem de Lituanie.
Mais l’histoire de cette époque est terrible pour les Lituaniens, car des héros lituaniens dans la lutte contre les Soviétiques ont participé à la Shoah. Comme Jonas Noreika, résistant à l’occupation soviétique et collaborateur des nazis. En tant que membre du gouvernement lituanien collaborateur, le « Front des Gardes des Activistes », il a signé pour que les Juifs de Šiauliai rentrent au ghetto.
Aujourd’hui, une plaque l’honore dans Vilnius. Il a été en camp de concentration nazi, au Struthof, puis arrêté par les Soviétiques et tué au Goulag.
Cette personnalité dérange les Lituaniens. Il faut que les Lituaniens osent regarder leur histoire en face. C’est la propre petite fille de Jonas Noreika, la journaliste, écrivaine et enseignante américaine Silvia Foti, qui le dit. Elle mène une campagne pour condamner son grand père.
Même chose avec Kazys Skirpa, diplomate lituanien, proche des nazis pendant la guerre, anti-communiste, comme l’immense majorité des Lituaniens, auteur de propos antisémites, mais déporté à la fin de la guerre dans un camp nazi en Allemagne et il meurt à Washington dans les années 70. Kazys Skirpa a une rue à son nom dans Vilnius. La suppression de cette plaque de cette rue fait beaucoup parler en Lituanie. Un premier vote avait décidé de l’enlever, le deuxième vote a dit le contraire.
Le ministre des Affaires étrangères, Linas Linkevičius, a organisé l’an passé une conférence sur « les traumatismes d’un passé non digéré ». Et le passé de la Lituanie est très difficile. Entre les 95% des 200 000 Juifs assassinés, les plus de 200 000 Polonais expulsés de Lituanie et les 30 000 Bélarussiens qui ont quitté la région de Vilnia. Sans oublier les 13 000 Lituaniens envoyés au Goulag par les Soviétiques après la guerre et les 20 000 résistants contre le régime soviétique tués.
Dans l’Europe de l’Est, il est rare de s’ouvrir à ses voisins. En Pologne, avec les ultra-conservateurs des frères Kaczyński ou encore pire dans la dictature d’Alexandre Loukachenko, c’est difficile. Une tentative originale de la société lituanienne en ce XXIe siècle pour oublier le terrible XXe siècle.
Avec le concours d’Eric Chaverou
Ces régions de l’Est de l’Europe sont anciennes et de ce fait on connus des invasions diverses avec leurs voisins direct, si là aussi la paix pouvait se faire ce serais magnifique, on peut rêver un peu !
Belle fin de journée !