Vilnius organise des manifestations pour sensibiliser la population à la culture juive et à l’une des pages les plus sombres de l’histoire du pays longtemps occultée, l’extermination des Litvaks, les juifs de Lituanie, par les nazis et leurs collaborateurs.
En ces temps de mémoire troublée, où, un peu partout, des statues et des monuments se retrouvent, sinon le nez à terre, du moins au cœur de vives polémiques, la Lituanie ne fait pas exception. Des « héros » du passé deviennent des personnages encombrants. Ainsi, la plaque mémorielle de Jonas Noreika, dressée à Vilnius, la capitale lituanienne, a-t-elle été posée, détruite, puis reposée. Haut fonctionnaire de l’administration, résistant à l’occupation soviétique exécuté en 1947, il fut aussi un collaborateur zélé des nazis, signant l’ordre d’établir des ghettos juifs dans le comté de Siauliai – ce qui ne l’empêchera pas d’être lui-même détenu dans un camp de concentration entre 1943 et 1945.
Pas à pas, ce petit Etat balte d’à peine 2,8 millions d’habitants, membre de l’Union européenne depuis 2004, tente de se réconcilier avec son histoire cauchemardesque du XXe siècle. Occupée par les Soviétiques en 1940, puis par les nazis l’année suivante, puis intégrée à l’URSS jusqu’en 1990, la Lituanie a longtemps occulté l’une de ses pages les plus sombres lorsque, accueillant les fantassins d’Hitler comme des libérateurs, une partie de la population participa à l’extermination des Litvaks, les juifs de Lituanie.
« Shoah par balles »
Plus de 200 000 d’entre eux périrent dans des camps de concentration ou furent victimes de la « Shoah par balles », ces fusillades de masse commises dans plusieurs pays de l’Est par les unités allemandes et leurs collaborateurs. A la sortie de la guerre, selon les historiens, 95 % de la communauté juive lituanienne avait disparu.
Adoptée par la Seimas, le Parlement de Lituanie, la commémoration prévue cette année du 300e anniversaire de la naissance du Gaon (« génie ») de Vilna – de son vrai nom Elijah ben Solomon Zalman, il contribua au XVIIIe siècle à la formation du judaïsme litvakien et à la renommée de Vilnius, aussi appelée la « Jérusalem du Nord » – participe à ces tentatives de renouer avec l’héritage de la culture juive du pays. Quoique handicapées par la pandémie de Covid, plusieurs manifestations sont prévues, y compris à l’étranger afin de sensibiliser les descendants litvaks exilés dans le monde entier.
Lors d’un concert organisé à Londres fin mai, le ministre lituanien de la culture, Mindaugas Kvietkauskas, avait eu des mots justes pour évoquer la reconnaissance d’un « Holocauste à grande échelle dans le pays » et du « rôle des collaborateurs lituaniens » freinée par « la persistance de stéréotypes » et « les changements lents dans les mentalités ». Auteur lui-même d’une traduction du journal intime d’un adolescent de 14 ans, Yitzhak Rudashevsky, interné dans le ghetto de Vilnius, il avait surtout mis l’accent sur la « répression systématique de la mémoire collective antérieure » à l’époque soviétique.
A Paris, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a salué l’initiative. « C’est une prise de conscience qui va dans le bon sens, pas seulement pour regarder le passé et sa part d’ombre mais aussi sa part de lumière, l’apport juif dans la culture lituanienne », estime son président, Francis Kalifat, tout en se disant « inquiet d’une poussée du nationalisme dans les ex-pays communistes ».
L’Année du Gaon de Vilna
La tentation d’imiter la loi mémorielle polonaise controversée de 2018, qui visait à exonérer l’Etat et ses citoyens de toute responsabilité dans les crimes de la seconde guerre mondiale sous peine de poursuites, avant d’être amendée, a bien effleuré certains élus en Lituanie. « Au début de l’année, le mot s’est répandu dans le monde entier selon lequel un membre du Seimas avait l’intention de rédiger une résolution – et non un projet de loi – sur cette question, mais ce ne sont que des rumeurs, proteste le ministre des affaires étrangères, Linas Linkevicius, joint par Le Monde. Les faits sont clairs : aucun projet de loi ni résolution sur le “blanchiment” de l’Holocauste n’a été enregistré au Parlement lituanien. »
« Nous avons reconnu la responsabilité de ceux qui ont collaboré avec les nazis, poursuit-il. En 1995, le président, s’exprimant à la Knesset, s’est excusé au nom du pays pour les Lituaniens qui ont participé au meurtre de juifs. Nous ne pouvons nier ni ne voulons nier que des Lituaniens ont participé à l’Holocauste et collaboré avec les autorités d’occupation nazies. Il ne peut y avoir de pardon pour ce qu’ils ont fait. Nous savons, aussi, que les historiens (…) ne blâment pas la nation lituanienne tout entière pour les crimes de la Shoah. »
Pour le ministre, l’Année du Gaon de Vilna atteste de la volonté des autorités de sensibiliser « l’ensemble de la société lituanienne sur la riche histoire du pays, indissociable de celle des juifs de Lituanie ». Un premier pas avait été fait en 1997, pour le 200e anniversaire de la mort du sage. Et pour la cinquième fois depuis sa première édition en 2001, un congrès des Litvaks devrait être organisé en septembre.
« Des divergences demeurent »
« Ce n’est ni le début ni l’aboutissement du processus, disons que nous sommes encore au milieu, mais le plus important, cette année, concerne un changement d’attitude de la société sur son passé », témoigne l’historienne Jurgita Verbickiené, enseignante à l’université de Vilnius. Certes, « des divergences demeurent, précise cette spécialiste, mais la société est de plus en plus ouverte. La jeune génération, en particulier est plus réceptive, ils comprennent ce qu’a été l’Holocauste alors qu’ils ont du mal à appréhender la période soviétique ! Pour les personnes âgées, c’est plus délicat. Certains pensent toujours que les juifs étaient communistes et qu’ils ont participé à la déportation de la population [dans les goulags en Sibérie]. Et les discussions restent compliquées sur nos “héros” qui ont participé à l’Holocauste. »
Comme d’autres Litvaks, l’artiste franco-israélienne Esther Shalev-Gerz, née à Vilnius, a fait plusieurs fois le déplacement en Lituanie. Elle y a retrouvé la rue de sa maison où toute sa famille maternelle a été massacrée. « La réconciliation est difficile, mais si la haine ne prend pas toute la place, on peut avancer », dit-elle. Au bout de sa quête, Esther Shalev-Gerz, partie de son pays natal à l’âge de 8 ans, a recouvré sa nationalité d’origine. Au premier jour du déconfinement en France, le 11 mai, elle s’est rendue à l’ambassade de Lituanie à Paris, recevoir son passeport.
C’est bien, affaire à suivre, je suis étonner que cet article vienne du Monde !
Belle journée