Il était l’un des piliers de cette troupe loufoque qui, dans les années 1970, fit souffler un vent de folie le cinéma avec « Sacré Graal », « La Vie de Brian » et tant d’autres films cultes.
Farewell dear Terry J. Two down, four to go. Love Terry G, Mike, John & Eric pic.twitter.com/RbVrAAJz2d
— Monty Python (@montypython) January 22, 2020
Les deux volets de bois s’ouvrent sur un visage encadré de noir, le doigt accusateur pointé sur la foule. D’une voix haut perchée, Terry Jones, grimé en matrone revêche, met en garde les disciples fantasques de son fils : « Ce n’est pas le Messie, c’est seulement un vilain petit garçon ! » La réplique-culte de la comédie satirique La Vie de Brian, interdite de sortie en 1979 dans plusieurs pays en raison de son caractère blasphématoire, résume à elle seule la vie du comédien et réalisateur Terry Jones. Avec ses acolytes des Monty Python, il n’aura jamais cessé de tourner en dérision tout ce qui lui semblait trop sérieux, y compris son dernier combat contre la maladie, qui fut « une longue bataille pleine d’humour », a annoncé mercredi 22 janvier sa famille. Le Britannique, atteint d’une forme rare d’aphasie progressive primaire depuis plusieurs années, est mort mardi dans la soirée à l’âge de 77 ans.
« Son travail avec les Monty Python, ses livres, ses émissions de télévision et ses poèmes vivront pour toujours », a déclaré sa famille dans un communiqué. Et nul adepte de l’humour absurde des six légendes, dont l’imaginaire débridé aura fait les grandes heures de la télévision britannique, ne pourrait la contredire.
Atypique sextuor
Né dans la petite cité balnéaire galloise de Colwyn Bay en 1942, d’un père employé de banque et d’une mère femme au foyer, Terry Jones passe son enfance dans la classe moyenne du comté de Surrey, au sud de Londres. Passionné d’histoire médiévale – une marotte qui le suivra toute sa vie –, il se lance dans des études de littérature historique à Oxford. C’est sur les bancs de la faculté qu’il rencontre Michael Palin, à l’occasion d’un modeste spectacle universitaire. De leur amitié naissent plusieurs sketchs humoristiques, qu’ils proposent à plusieurs émissions de télévision, comme Twice the Fortnight, ou encore The Complete and Utter History of Britain.
Le succès est là, et avec lui les nouvelles rencontres professionnelles, dont trois touche-à-tout de Cambridge et un Américain arrivé là un peu par hasard : Graham Chapman, Eric Idle, John Cleese, et Terry Gilliam. Ensemble, les comparses participent à partir de 1966 à l’écriture de The Frost Report, une série en vingt-huit épisodes, sur la légendaire et pourtant très rigide BBC, et de sketchs fantasques moquant déjà la société britannique. Dignes héritiers du Goon Show d’un certain Peter Sellers, le groupe a trouvé son ton, et se lance en troupe. En 1969, la BBC donne carte blanche à cet atypique sextuor : le Monty Python’s Flying Circus naît – après avoir échappé à plusieurs autres titres The Toad Elevating Moment (le moment d’élévation du crapaud) ou encore The Vaseline Review (la revue de la vaseline).
Sur l’origine de leur nom, les Monty Python ont toujours entretenu le mystère. En 1998, certains de ses membres avaient évoqué un hommage au Lord Montgomery, héros de la seconde guerre mondiale, associé à l’argot désignant sous le nom du redoutable serpent constricteur un vilain de la pire espèce. Mais faut-il vraiment croire un Monty Python sur parole ?
Le vendeur de perroquets morts
Le 5 octobre 1969, deux mois après avoir vu l’homme marcher sur la Lune, les spectateurs de la BBC découvrent un homme en haillons qui émerge des flots. Il progresse lentement vers la caméra et dans un râle exhale un tout petit bout de phrase : « It’s. » Il disparaît de l’écran. Une fanfare guillerette retentit et apparaît un nom, compliqué à l’extrême : Monty Python Flying Circus, bientôt écrasé par un pied gigantesque mais fort bien proportionné (il a été emprunté à un tableau de Bronzino, maître de la Renaissance italienne).
L’auto-interview de Terry Jones dans l’émission « Lunettes noires pour nuits blanches » 😎 #TerryJones #CulturePrime pic.twitter.com/QExnpSaryw
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De 1969 à 1974, le Monty Python’s Flying Circus repousse à chaque nouvel épisode les limites de la comédie, hissant la déconnade au rang d’art supérieur. Les quarante-cinq tournages de leur émission produite par la BBC sont un foisonnement de déguisements, trucages, voix off et psychédélismes en tout genre pour mieux moquer l’institution et crucifier le bon goût sur l’autel de la subversion.
Tout y passe, de la justice à l’armée – comme ces soldats envoyés se battre contre des fruits frais – en passant évidemment par les politiciens de tous bords, y compris ceux qui travaillent au Ministry of Silly Walks, le ministère des démarches idiotes. On y croise aussi une horde de vieilles dames reconstituant à coups de sac à main l’attaque de Pearl Harbour, Hitler réfugié incognito dans une pension de famille, sous oublier le vendeur de perroquets morts ou Proust résumé en quinze secondes. Le succès public est tel que les censeurs de la BBC sont bien contraints de laisser couler… En 1971, un florilège de ces sketchs sort même au cinéma.
« Deux au tapis, il en reste quatre »
Après l’arrêt du Flying Circus, en 1974, à la suite du départ de John Cleese, les Monty Python produisent (grâce, entre autres, à l’argent du groupe de rock Led Zeppelin) leur premier vrai film en 1975 : Sacré Graal, dont les « deux Terry » assurent la réalisation. De leurs engueulades légendaires autant que de leur complicité artistico-humoristique naît un style qui s’est pleinement épanoui avec La Vie de Brian, ce chef-d’œuvre d’absurdités racontant l’histoire de Brian Cohen, un jeune juif né le même jour que Jésus dans une étable voisine et qui, pris pour le prophète, est finalement crucifié sur l’hymne au positivisme conçu par Idle, Always Look on the Bright Side of Life (Prends toujours la vie du bon côté). Le long-métrage fait scandale, au point d’être interdit pendant huit ans en Irlande, et pendant un an en Norvège. La Suède voisine en fera ainsi la réclame : « Le film tellement drôle que les Norvégiens ont dû l’interdire. »
Dernier opus des six clowns britanniques, Le Sens de la vie sort en 1983. Terry Jones est une fois encore à la réalisation de ce film où l’humour noir atteint des sommets, récompensé par le Grand Prix spécial du jury au Festival de Cannes. Après cet acmé, les chemins des plus célèbres humoristes britanniques se séparent, sans jamais complètement s’éloigner. En 2013, ils retrouvent ensemble la scène pour « un peu de comédie, de la musique et du sexe antique [ancient sex]. »
« Le plus important, dans l’héritage des Python, c’est que ça me permet de faire ce que je veux », expliquait au Monde en 2009 Terry Jones. Après avoir dirigé une poignée de longs-métrages, Jones se consacre aux études médiévales, son domaine d’élection étant le règne de Richard II (1377-1399). Il s’était vivement opposé à la guerre en Irak en 2003 et avait pris la plume pour écrire des articles et même un livre à ce sujet.
En 2016, le comédien et réalisateur avait reçu un Bafta, l’équivalent britannique du César, pour l’ensemble de sa foisonnante œuvre, quelques semaines après avoir révélé souffrir de démence fronto-temporale. « Ni ! », avait-il lapidairement commenté à l’époque. Il rejoint au panthéon des Monty Python Graham Chapman, qui a succombé à un cancer en 1989. « Deux au tapis, il en reste quatre », a tweeté mercredi John Cleese.