Des échanges sur WhatsApp datant de 2018 véhiculant des plaisanteries racistes et antisémites refont surface publiquement. Dans le but de déstabiliser cette vénérable institution ?
Cherche-t-on à déstabiliser l’Ordre des avocats de Paris? Depuis plusieurs années, déballages nauséabonds et scandales alimentent la chronique de cette institution qui régule la profession de quelque 30 000 avocats parisiens. Désormais l’Ordre ne lave plus son linge sale en privé mais sur la place publique. Et la période à venir – changement prochain de bâtonnat, renouvellement d’un tiers des membres élus à l’Ordre et surtout poursuite disciplinaire de trois dossiers sensibles à caractère sexuel dont un concerne un de ses propres membres – est propice à de nouvelles tempêtes.
Faut-il voir un lien de cause à effet ? Aujourd’hui d’anciens messages à caractère possiblement haineux sont exhumés d’un groupe WhatsApp, utilisé au cours de l’année 2018 par les membres élus de l’Ordre. Une vraie boule puante. Comme si on cherchait à remettre en cause la légitimité des membres élus de cette institution à pouvoir poursuivre leurs pairs. Ce groupe WhatsApp, qui a compté jusqu’à une vingtaine d’utilisateurs pour une trentaine de membres élus [ni la bâtonnière, ni le vice-bâtonnier n’en faisaient partie], a été fermé fin 2018 au moment du renouvellement du bureau.
«Tes blagues étaient du niveau de Dieudonné»
Un autre groupe l’a remplacé depuis. Dans des messages datés du 14 février 2018 que nous avons consultés, des élus de l’Ordre s’adonnent à des plaisanteries autour de clichés antisémites, racistes et sexistes. Ainsi Maître X : « On en parlait justement ce matin à la Commission de l’exercice. Du coup, avec [deux membres sont cités] on s’est dit que trop c’est trop. Donc, on a viré les Chinois et les Juifs ». Maître Y : « Pourquoi les Chinois ? » Me X : « Parce que c’est le barreau de Paris ici. C’est pas la Gare de l’Est. »
On découvre dans d’autres messages datés du 15 février qu’un des membres élus qui a posté des vidéos pornos sur le groupe est menacé d’exclusion. Ce qui donne lieu à une polémique. « Si on doit rester politiquement correct sur ce groupe alors je pense qu’il n’a aucune raison d’être », explique le même Maître Y, une avocate, en l’occurrence, venant à la rescousse de l’avocat incriminé, son binôme à l’Ordre. Elle précise : « Ce groupe permet précisément de décompenser entre nous. J’ai vu des comportements très limites (je ne cite personne), je n’ai pas vu que quiconque a été exclu du groupe. On n’est pas à l’école et encore moins dans un régime totalitaire où on peut se faire purger ». Finalement, selon nos informations, le fautif présumé s’exclura de lui-même de la boucle.
Paradoxalement, quelques mois plus tard, en avril 2018, le même Maître Y va accuser un de ses confrères élus à l’Ordre d’énoncer « des propos, sous couvert de plaisanterie, qui sont clairement antisémites ». Ces accusations ne sont pas véhiculées sur la boucle WhatsApp mais directement adressés par courriel à l’intéressé. « N’est pas Pierre Desproges qui veut. Ni Hazanavicius (Michel de prénom, le réalisateur). Tes blagues étaient du niveau de Dieudonné. Guère plus fines », fustige l’accusatrice dans ce courriel que nous avons lu. Dans ce même mail l’avocate menace son interlocuteur de saisir officiellement le Bâtonnier en cas de récidive. « Ce n’est pas à toi que je l’apprendrai, l’antisémitisme n’est pas une opinion. C’est un délit », affirme-t-elle.
«Je kiffe vous parler en hébreu bande de goys»
La réponse de l’avocat mis en cause ne se fait pas attendre. Si celui s’excuse d’avoir pu blesser sa consœur, même si elle a surréagi d’après lui, il lui renvoie la politesse. « Dans ce groupe de discussion, il me semble que toi-même, tu as pu véhiculer ces caricatures haineuses. Non pas pour les valider bien sûr, mais pour les ridiculiser. » Et de citer à titre d’exemple un message WhatsApp de sa consœur à propos d’un médecin : « Il est malin, futé, rusé comme un renard #juifparexcellence ». Ou encore ce SMS écrit par Maître X : « La suppression de l’allocation des confrères handicapés juifs ? On en est où ? ». Un message auquel Maître Y a répondu : « T’as un problème avec les juifs ? »
C’est l’arroseur arrosé. On apprend également que l’accusatrice initiale affectionne de parler en hébreu pour « plaisanter ».
– Maître X : « Erev tov lé koulam.
– Maître Y : T’as configuré ton clavier en QWERTY. Andouille.
– Maître X : Non je kiffe vous parler en hébreu bande de goys.
– Maître X : bande de goys. Non mais voilà quoi. »
À l’époque l’affaire entre les deux membres élus n’a pas été plus loin. Les protagonistes se sont rencontrés et réconciliés grâce à un tiers qui a joué le rôle de médiateur. Contacté, Basile Ader, vice-bâtonnier du Barreau de Paris parle d’« un défouloir dont les messages échangés ne peuvent être pris qu’au second degré ». « Il serait fâcheux qu’on tente de déstabiliser le travail considérable qu’effectuent quotidiennement les membres du conseil de l’Ordre au service de leurs confrères », poursuit-il.
«Ces messages étaient d’ordre privé»
La plupart des membres élus à l’ordre que nous avons contactés ne nous ont pas répondu ou n’ont pas souhaité faire de commentaire : « Certains voudraient créer chez les avocats l’équivalent de l’affaire du mur des cons au sein de la magistrature [un trombinoscope nauséabond avait été épinglé sur les murs du Syndicat de la magistrature] », s’insurge l’un d’entre eux sous couvert d’anonymat. Il renchérit : « C’est une affaire de cornecul. La raison d’être de cette boucle était de décompresser. Personne ne peut soupçonner sérieusement quiconque à l’Ordre d’être antisémite, à commencer par l’avocat montré du doigt. Ces messages étaient d’ordre privé et pas destinés à fuiter. »
Néanmoins ils ont fuité au grand dam de l’Ordre… « Cela démontre chez des personnes censées réguler une profession au minimum une certaine imprudence », commente un magistrat que nous avons joint.
Jean-Michel Décugis