Avigdor Lieberman, poids lourd du précédent gouvernement Nétanyahou et porte-voix des Israéliens originaires de l’ex-bloc soviétique, a fait de l’interdiction de ces tests une condition de son ralliement.
On le disait politiquement carbonisé avant les dernières élections anticipées, en grande partie provoquées par sa démission du ministère de la Défense. Mais Avigdor Lieberman, une fois encore, est de retour à la Knesset en faiseur de roi. Et l’insubmersible porte-voix des Israéliens originaires de l’ex-bloc soviétique n’entend pas brader le soutien de son parti communautaire Israel Beytenou («Israël, notre maison») au prochain gouvernement Nétanyahou, dont la formation traîne. Dans sa longue liste de conditions «non négociables» à son ralliement, on trouve la demande suivante : l’interdiction des tests ADN de judéité pratiqués par le grand rabbinat israélien, que Lieberman qualifie de «discrimination institutionnelle».
Pour saisir le fond de l’affaire, il faut retracer la distinction entre les moyens d’accession à la citoyenneté israélienne d’une part, et l’identité juive. Du moins du point de vue des autorités religieuses israéliennes, contrôlées par les ultraorthodoxes. Pour obtenir un passeport israélien, il faut satisfaire aux dispositions de la «loi du retour», promulguée par l’Etat hébreu en 1950.
Peuvent prétendre à l’alya (la «montée» en Israël) tous ceux ayant au moins un grand-parent juif, en réponse aux critères mis en place par le régime nazi pour orchestrer la persécution de la communauté. Mais pour le rabbinat ultraorthodoxe, d’un point de vue «halachique», soit strictement religieux, n’est juive qu’une personne dont la mère est juive, ou qui s’est convertie selon les rites des branches les plus rigoristes du judaïsme.
Goût de sous-citoyenneté
C’est ainsi qu’aujourd’hui en Israël, environ 400 000 citoyens – très majoritairement issus de la grande vague d’immigration des pays de l’Est à la chute de l’URSS – ont reçu la nationalité israélienne sans être reconnues comme juifs par le rabbinat. Des «demis» voire des «faux» juifs, simplement listés «sans religion» sur leurs papiers, auxquels s’ajoutent, selon le Jerusalem Post, environ 700 000 autres russophones, officiellement juifs, mais dont l’identité est régulièrement contestée par le grand rabbinat lors de leurs démarches administratives.
Car les autorités religieuses gardent la mainmise sur les principaux événements de la vie, des mariages aux divorces, jusqu’aux enterrements. Point de mariage civil en Israël : l’Etat hébreu ne reconnaît que les unions religieuses ou bien celles scellées à l’étranger. Et c’est pourquoi, chaque année, des milliers d’Israéliens vont se passer la bague au doigt à Chypre… Pour les concernés, dont certains ont renoué avec la religion délaissée ou méconnue par leurs parents, reste le goût d’une sous-citoyenneté, transmise de génération en génération.
Soutenus par des associations religieuses plus progressistes, ces Israéliens sont de plus en plus nombreux à chercher la reconnaissance de la bureaucratie rabbinique, notamment pour faire valider leurs mariages, au prix d’un processus de vérification nébuleux, véritable enchaînement d’interrogatoires généalogiques.
«Gène juif»
C’est dans ce cadre que des rabbins ultraorthodoxes ont imposé à des demandeurs de prouver leur judéité en passant un test ADN. Et ce alors que l’existence d’un «gène juif» est très contestée, tant par les scientifiques que de nombreux religieux réformistes. En mars, le grand rabbin, David Lau, a pour la première fois reconnu publiquement cette pratique, prétendant que ces tests n’avaient été proposés qu’en appui des dossiers, sans obligation. Mais selon la presse israélienne, qui a dénombré une vingtaine de cas ces derniers mois, toute personne ayant refusé de s’y plier a vu sa demande classée sans suite.
Ces tests ADN illustrent une nouvelle fois l’affrontement auquel se livrent russophones et haredim («craignant Dieu») en Israël, que tout oppose. D’un côté, une communauté majoritairement laïque, très nationaliste et militariste. De l’autre, des religieux qui mettent Dieu au-dessus de l’Etat et refusent la conscription. Chacune grandit : les ultraorthodoxes grâce à leur natalité galopante, les autres par l’immigration (les Ukrainiens restent parmi les premiers postulants à l’alya), que les politiciens haredim, à l’instar du ministre de l’Intérieur, Aryeh Deri, veulent brider. «On ne parle plus que russe au ministère de l’Immigration», prétend ce dernier. Dans ce bras de fer, tous les coups sont permis, y compris la tentation de sombrer dans le racialisme le plus douteux.
Guillaume Gendron