Aux dernières élections en Israël, le grand gagnant est incontestablement Bibi, mais force est de constater que le grand perdant est la morale juive. Tribune de Dan Taïeb, résident à Tel Aviv.
Bibi, gagnant incontestable
Plusieurs victoires retentissantes se dessinent :
- Le Likud de Bibi gagne 5 mandats de plus, par rapport à l’ancienne Knesset.
- Le bloc de droite, favorable à Bibi, est largement majoritaire, ce qui lui permettra de former une coalition sans soucis.
- Il se débarrasse de ses meilleurs ennemis, Naftali Benet et Ayelet Shaked, qui ne passent pas (pour l’instant) le seuil d’éligibilité.
- Il se débarrasse de la menace Moshe Feiglin (parti Zehut), qui ne passe pas le seuil d’éligibilité alors qu’on l’annonçait comme la surprise des élections
- L’adversaire historique du Likud, Avoda (parti travailliste), s’effondre à 6 mandats (contre 22 dans la Knesset précédente)
Le grand perdant est la morale juive
Le peuple d’Israël vient d’élire, sans la moindre vergogne :
1) Un premier ministre qui cumule sur son dos 3 mises en examen dans 3 affaires différentes (chef d’inculpation : abus de confiance et corruption). Deux autres affaires pourraient s’ajouter aux ennuis judiciaires de Bibi : celle de la vente à l’Egypte d’un sous-marin sans l’accord du cabinet de sécurité, et celle de la vente de ses actions suspectes dans l’entreprise de son cousin, productrice d’acier pour les sous-marins en question.
2) Shas, parti orthodoxe séfarade, arrive 3ème de ces élections. Il brigue 8 mandats, avec à sa tête Arieh Dery, ancien détenu des prisons israéliennes, qui lui aussi sera mis en examen après les élections pour fraude envers les institutions fiscales du pays. Dery sera reconduit à un poste important, certainement au ministère de l’intérieur ou au ministère des affaires religieuses, ou les deux.
3) Yaadut Ha Torah, parti orthodoxe ashkénaze, arrive 3ème ex-æquo avec 8 mandats également. A sa tête, Litzman, ancien ministre-adjoint de la santé, lui aussi entendu le mois dernier par l’unité de police anti-corruption Lahav 443 dans des affaires d’abus de confiance et entraves à la justice, pourrait se retrouver très prochainement sous le coup d’une mise en examen. Litzman aussi, fort de ses 8 mandats, obtiendra un ou plusieurs ministères importants.
4) Bezalel Shmutrich, chef du Ihud ha Yamin, compte dans la micro-coalition de son parti les descendants du Rav Kahana (interdit en Israël pour racisme). Il s’est illustré dans des déclarations racistes et homophobes, et aurait conclu un accord avec Bibi pour obtenir le portefeuille de l’Éducation.
5) La campagne a cruellement manqué de contenu : ce qui n’est pas tellement surprenant, puisque les élections fonctionnent depuis 2 décennies sur des slogans plus que sur des programmes. Plus inquiétant, la campagne a cruellement manqué de morale : des attaques ad-hominem de part et d’autre, des vidéos du Likud accusant indirectement Benny Gantz de la mort de soldats israéliens (avec photo de cimetière en illustration), et le jour des élections, l’introduction de 1200 caméras-cachées du Likud dans des bureaux de vote arabes, alors que l’introduction d’une caméra dans un bureau de vote est interdite par la loi israélienne et relève du pénal
Ce qui va se passer dans les prochains jours :
1) Nous aurons les résultats définitifs des élections entre jeudi et vendredi. A ce jour, 97% des urnes ont été dépouillées. Les 3% restants sont les voix des soldats, diplomates, personnes hospitalisées et prisonniers. Cela ne changera pas les résultats de manière dramatique, mais peut modifier la donne pour le parti de Benet et Shaked qui pourrait dépasser le seuil d’éligibilité et entrer finalement à la Knesset. Leur entrée, pour des questions de calculs proportionnels, pourraient faire chuter le parti arabe Raam-Balad en dessous du seuil d’éligibilité.
2) Le Président Rivlin va consulter tous les partis, et recueillir leurs recommandations. Sans surprise, Bibi sera designé pour former le prochain gouvernement.
3) Les négociations pour entrer dans la coalition approchant, les yeux seront braqués sur Avigdor Liberman qui, fort de ses 5 mandats, réclame (encore !) le ministère de la Défense. Bien qu’étant du bloc de droite, et ancien allié du Likud, Liberman alors ministre de la Défense a été malmené par Bibi. C’est d’ailleurs lui qui a démissionné du dernier gouvernement, ce qui a provoqué ces élections anticipées. Désormais ennemis politiques, Liberman garde un gout amer de ses années aux cotés Bibi et attend le bon moment pour prendre sa revanche, qui pourrait arriver dans cette configuration.
Les affaires judiciaires de Bibi
Les affaires judiciaires de Bibi pourraient le rattraper, et perturber son mandat. « Pourraient » uniquement. En effet, les éléments des enquêtes sur Bibi qui lui ont valu ses 3 mises en examen, étaient tenues secrètes par le Procureur de l’État. Celui-ci a annoncé que tous les éléments des dossiers judiciaires, apparemment accablants, seront publiés immédiatement après les élections. Quelles conséquences cela peut-il avoir ?
On rentre dans le détail du fonctionnement judiciaire israélien. Pour simplifier, disons qu’il existe 4 étapes :
- Étape 1 : ouverture de l’enquête
- Étape 2 : mise en examen
- Étape 3 : effectivité de la mise en examen
- Étape 4 : condamnation ou disculpation
Pour le moment, Bibi se trouve à l’étape 2. Il est « simplement » mis en examen, la justice ne l’a toujours pas entendu, et le procès n’a pas eu lieu. La mise en examen devient effective (étape 3), entraînant l’ouverture de l’enquête, entre 6 mois et 1 an après l’annonce de la mise en examen (c’est à dire, dans l’année à venir). A l’étape 3, la Knesset a légalement le pouvoir de renvoyer le Premier Ministre en votant la non-confiance. Concrètement, Bibi ayant une majorité nette, cela semble peu probable.
Mais la justice a également son mot à dire, et pourrait forcer le Premier Ministre à démissionner : ce fut le cas dans le passé contre des Ministres en exercice mis en examen (devinez lequel ? Arieh Dery, chef du parti Shas !). D’un côté, certains disent que la logique judiciaire impose que « ce qui est valable pour un ministre l’est aussi pour un premier ministre ». D’un autre côté, d’autres affirment qu’un ministre est nommé, alors que le Premier Ministre est élu, et la jurisprudence ne peut s’appliquer dans ce cas précis. La justice aura donc à faire face à un cas sans précédent dans l’histoire d’Israël, et tranchera en fonction de la gravité des chefs d’accusations, confirmés ou non, après les audiences de Bibi et l’enquête qui se déroulera cette année.
Hok Tzarfati et immunité du Premier Ministre
On a beaucoup parlé de la « Hok Tzarfati » (loi française) qui donnerait une immunité judiciaire complète au Premier Ministre, laissant ses histoires de mise en examen suspendues en l’air et repoussant une éventuelle inculpation tant qu’il reste sur le trône. Le Likud a essayé de faire passer cette loi dans le passé, sans succès. Au vu des affaires judiciaires, beaucoup suspectent le Likud de vouloir faire passer cette loi pour garantir un mandat serein à Bibi (et dans le même temps, éloigner la justice de lui … jusqu’à nouvel ordre).
Ainsi, les partis de coalition, comme ceux de Liberman ou Kahlon, ont été sommés durant la campagne de prendre position et d’affirmer qu’ils ne soutiendraient pas la loi française. Bibi lui-même a annoncé qu’il ne désirait pas faire passer cette loi. Lui, non. Mais certains de ses soldats, comme Amsallem, Regev, ou Smutrich, oui. Si une menace sérieuse d’inculpation plane sur sa tête, il est difficile de croire que Bibi ne fera pas tout ce qui est possible pour rester Premier Ministre. Sans trop rentrer dans le détail, cette loi telle qu’elle existe en France, serait inapplicable en Israël. Mais elle pourrait bien trouver des formes différentes, et passer en commission à la Knesset. C’est d’ailleurs ce qu’a annoncé Bezalel Smutrich, du Ihud ha Yamin (Union des droites), hier soir avec l’annonce des résultats : son parti participera à la coalition avec Bibi, et tentera de faire passer une loi d’immunité pour garantir à Bibi un mandat serein.
C’est assez problématique. Si cette loi existe en France, c’est parce que le mandat du Président Français est limité. En Israël, cette limite de mandats n’existant pas, une loi similaire pourrait ouvrir la porte à un « Empire » Netanyahu : en place depuis 13 ans, il pourrait l’être encore … une bonne dizaine d’années ?
Attention à Liberman
Vous vous souvenez ? J’ai dit plus haut que Liberman concentrerait toutes les attentions durant ces négociations ? C’est maintenant qu’il entre en jeu.
Liberman s’est montré très critique envers Bibi durant toute la campagne. Personne n’oublie, pas même Netanyahu, que Liberman attend l’heure de sa « vengeance ». Liberman pourrait négocier très cher son entrée au gouvernement, et inscrire dans l’accord de coalition, son opposition à toute loi d’immunité qui protégerait Bibi. A ce stade, ce ne sont que des suppositions, mais Liberman aurait en pratique le pouvoir de bloquer une telle loi si elle se présentait. Il aurait également le pouvoir de fragiliser la coalition si Bibi ne répond pas à ses exigences.
Fragiliser la coalition … ça peut vouloir dire aller à de nouvelles élections, plus tôt que prévu.
Dan Taïeb – de Tel Aviv
La morale juive et humaine a été perdu sous l’autorité de Rabin et Peres quand ils appelaient les victimes du terrorisme, (bus qui explosaient entre autre, sous les accords d’Oslo) => « Des sacrifices pour la paix ».
La on peut parler de morale perdue.