« Mort aux juifs », « sales juifs », « les juifs du CRIF [dont le dîner annuel s’est déroulé mercredi 20 février en présence d’Emmanuel Macron], je vous nique », croix gammées… Une dizaine d’inscriptions ont été retrouvées sur les murs du 14e arrondissement de Paris, jeudi 21 février, dont une sur le panneau d’affichage du groupe scolaire Simone-Veil.
Quelques heures plus tôt, à Artigues-près-Bordeaux, en Gironde, des croix gammées à l’envers avec la mention « Mort aux juifs » étaient découvertes sur des panneaux routiers, des Abribus et des compteurs électriques. « Sous Vichy, il fallait se tenir à carreau », a-t-on pu également lire sur une feuille à petits carreaux épinglée sur la façade d’un gymnase du 4e arrondissement de la capitale, devant le « parvis des 260 enfants », en mémoire des élèves de confession juive scolarisés dans l’établissement public des Hospitalières-Saint-Gervais et déportés pendant la seconde guerre mondiale.
« Sale juive (…). On va tous vous brûler », ont hurlé deux hommes alors qu’ils agressaient une habitante de Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise) mardi 19 février. « Sale juif », ont scandé le même jour trois inconnus en volant le téléphone portable d’un adolescent au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis). « Es-tu prêt à mourir ? », a reçu un homme sur son téléphone portable, vendredi 22 février. Tandis qu’à Versailles, dans les Yvelines, à Sarlat, en Dordogne, et à Paris, dans les 16e et 17e arrondissements, de nouveaux tags apparaissaient.
« Virulence des propos »
En quelques jours, depuis les manifestations contre l’antisémitisme, mardi 19 février, lancées par une vingtaine de partis politiques, injures, menaces, tags et actes antisémites se sont multipliés. La mairie de Paris en dénombre deux par jour en moyenne.
« Ce qui est choquant, c’est la virulence des propos et le choix des lieux, toujours très symboliques, relève Emmanuel Grégoire, premier adjoint, qui fait des signalements au parquet à chaque fait relevé ou porte plainte. L’intention antisémite est doublement caractérisée ; l’objectif est clairement de blesser profondément la communauté. »
Le politologue Jean-Yves Camus appelle ça « l’effet de réplique ». Il explique : « La médiatisation de l’antisémitisme déclenche souvent une vague d’incidents dupliquant les précédents. »
Une semaine plus tôt, la haine antijuifs avait marqué l’actualité. Croix gammées taguées sur des portraits de Simone Veil dans le 13e arrondissement de Paris le 11 février ; chiffres annuels – soit + 74 % d’actes antisémites en 2018 – dévoilés le soir même par le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, dans l’Essonne, à l’endroit où deux arbres plantés en mémoire d’Ilan Halimi, jeune homme de confession juive torturé à mort en 2006, ont été retrouvés sciés ; insultes proférées à l’encontre d’Alain Finkielkraut en marge d’une manifestation de « gilets jaunes » le 16 février…
« Plus on s’intéresse aux juifs, plus l’Etat s’intéresse aux juifs et se soucie d’eux, plus ça agace et plus certains leur font payer », se désole Sammy Ghozlan, président du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme, qui recense les actes antisémites. Cette « attention » portée à la communauté juive contribue à nourrir du ressentiment et à alimenter certains stéréotypes antisémites qui véhiculent l’idée qu’« il n’y en a que pour les juifs » et que « c’est bien la preuve qu’ils sont bien placés pour qu’on parle autant d’eux ».
« Sentiment d’impunité »
Pas question pour autant de céder à « la panique » et de cesser d’en « parler », insiste Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT. « La question se pose à chaque fois, note Jean-Yves Camus. En parler réveille les pulsions des gens malintentionnés. Ne pas en parler rend impossible tout travail de fond en matière de sensibilisation, d’éducation… »
Evoquant tantôt un « effet de mode », tantôt un « effet de mimétisme » et de « surenchère », Frédéric Potier parle d’une « tendance nettement à la hausse » ces dix derniers jours. « Je crains que l’on soit entré dans une concurrence entre les différents antisémitismes, avance Sammy Ghozlan. Après les insultes proférées par un islamiste radical contre Alain Finkielkraut, d’autres profanent des tombes juives à Quatzenheim, en Alsace, probablement le fait de militants d’extrême droite, comme pour dire : “C’est nous les vrais antisémites.” »
Autre facteur qui explique cette nouvelle vague : « le sentiment d’impunité », souligne Jean-Yves Camus. Pour preuve, la série d’inscriptions relevées dans le 14earrondissement de Paris le 21 février à 12 h 37 par la maire d’arrondissement. Le matin, il n’y avait rien. L’auteur ou les auteurs ont donc agi en plein jour.
Louise Couvelaire