Le rabbin Gabriel Farhi, du mouvement juif libéral de France, explique au JDD pourquoi il ne se rendra pas mardi à la manifestation contre l’antisémitisme.
De nombreux partis politiques participeront mardi, à l’initiative du socialiste Olivier Faure, à un rassemblement contre l’antisémitisme à Paris. Des membres du gouvernement seront également présents, a indiqué l’Elysée, sans préciser lesquels. Jean-Luc Mélenchon aussi, malgré les différends avec le PS sur l’organisation de cette marche. Joint par le JDD, le rabbin parisien Gabriel Farhi, du mouvement juif libéral de France, explique pourquoi, lui, ne s’y rendra pas. Sur Twitter, il a affirmé ne pas vouloir être « la caution de certains partis qui joueront les vierges effarouchées et chercheront une caution morale de leur duplicité face à l’antisémitisme ».
Je ne me rendrai pas mardi au rassemblement contre l’antisémitisme. Je ne serai pas la caution de certains partis qui joueront les vierges effarouchées et chercheront une caution morale de leur duplicité face à l’antisémitisme.
— Gabriel Farhi (@ravgab) 16 février 2019
Pourquoi ne serez-vous pas présent au rassemblement de mardi contre l’antisémitisme?
Bien que j’approuve totalement ce rassemblement, je n’irai pas. Et ce, pour deux raisons. Est-il nécessaire que les juifs soient dans la rue pour dire qu’ils sont contre l’antisémitisme? Cela me paraît tellement évident. Et au contraire, je me prends à rêver que la Nation soit suffisamment représentée pour que l’on n’ait pas besoin de compter les juifs qui seront dans le cortège. L’autre raison est que certains partis me posent des difficultés quant aux positions récurrentes prises vis-à-vis de la communauté juive et d’Israël.
Quelle est la seconde raison?
J’ai une expérience un petit peu traumatisante de la marche pour Mireille Knoll l’année dernière où j’avais été happé par La France insoumise – et Jean-Luc Mélenchon – qui s’était servie de moi comme caution. Il y avait eu quelques heurts et j’avais été bousculé. Je sais le jeu de certains politiques par rapport à des personnalités religieuses et communautaires. J’en garde un souvenir très pénible. On ne se rappelle que de deux choses : que Jean-Luc Mélenchon et d’autres députés avaient du être exfiltrés ; et que Marine Le Pen avait pu rentrer dans la manifestation grâce à la Ligue de défense juive (LDJ). Pas qu’il y avait des milliers de personnes et beaucoup de retenue dans cette marche. Je crains que mardi ce soit une tribune pour certaines personnes. J’espère être un oiseau de mauvais augure et me tromper, mais c’est ma crainte. Je n’appelle pas les juifs à ne pas s’y rendre ; j’explique pourquoi moi je n’irai pas. C’est une voix un petit peu marginale.
Qui visez-vous quand vous dites que certains « cherchent une caution morale de leur duplicité face à l’antisémitisme »? Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen?
Le Rassemblement national n’y sera pas ; Marine Le Pen a dit qu’elle ne viendrait pas. Soit. Je parle de la France insoumise, du PCF, de certains élus des Verts… Je crains qu’un projet qui se veut unitaire soit source de divisions, en espérant me tromper. Je connais trop la communauté juive pour savoir que certains ont l’intention de venir en demandant, avec une certaine violence verbale, à plusieurs politiques de rendre des comptes. Je suis assez inquiet.
Quel serait votre message à ceux de votre communauté qui veulent « régler des comptes » et à Jean-Luc Mélenchon?
De ne pas oublier l’objectif qui les rassemble. Il faut que tous ceux qui seront présents s’engagent fermement à la lutte contre l’antisémitisme sans équivoque, et en sachant nommer les choses. L’antisionisme est un antisémitisme, il ne peut pas y avoir de duplicité. Si on lutte contre l’antisémitisme, on lutte aussi contre l’antisionisme. Il faut être très clair. Le tweet dimanche de Jean-Luc Mélenchon (voir ci-dessous) est à mon sens d’un flou artistique complet où chacun peut plus ou moins se retrouver. Il manque de clarté dans les mots. J’espère que mardi les mots seront à la hauteur des bonnes intentions qui rassemblent les uns et les autres.
Conscient de l’instrumentalisation de l’antisémitisme, je crois aussi qu’il ne faut jamais laisser passer le racisme.
Autour de #Finkielkraut, il y avait aussi des #GiletsJaunes qui voulaient le défendre et s’opposer à l’attaque. Je suis avec eux.— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 17 février 2019
Alain Finkielkraut a été agressé samedi à Paris, les actes antisémites sont en hausse… Quel regard portez-vous sur la période actuelle?
La hausse des actes antisémites est de 74% en 2018, c’est absolument vertigineux. Je ne sais pas si on en prend la pleine mesure. Si la seule réponse apportée à l’émotion du moment est un rassemblement, cela me semble très court. Les partis politiques de gouvernement ou d’opposition parlementaires qui se réunissent mardi sont ceux qui peuvent appliquer des lois – qui ne le sont pas toujours aujourd’hui – ou les renforcer. Peut-être qu’on les attend sur ça. Il faut qu’ils donnent des signaux suffisamment forts pour dire qu’aucune parole antisémite, raciste, ne peut être tolérer en France. Pas simplement des déclarations de principe. Mardi, il va y avoir un petit peu de câlinothérapie, mais la communauté juive se sent terriblement seule.
Emmanuel Macron assistera mercredi soir au dîner annuel du Crif. Qu’attendez-vous de son discours?
Les précédents présidents, que ce soit François Hollande et Nicolas Sarkozy, ont tenu des discours très forts. Certains sont arrivés à renforcer un peu certaines lois. Mais du discours d’Emmanuel Macron, j’attends une seule chose : depuis 1977, une notion de grande cause nationale a été instituée. La cause de 2019 n’a pas encore été décidée. Cela pourrait être la lutte contre l’antisémitisme.